Cette semaine, « King’s disease » de Nas, sorti le 21 août sur le label Mass Appeal.
Dans le chef-d’œuvre de John Huston sorti en 1975 The Man Who Would Be King, deux aventuriers britanniques entreprennent un voyage dans un pays légendaire pour y devenir rois. La violence du film et sa cruauté ont trouvé un écho chez quelques rappeurs aussi mégalos que ses deux protagonistes : l’image finale de la tête couronnée et décapitée de Sean Connery est notamment imitée dans un «artwork» de My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West (2010). Nas, lui, a toujours eu ce rêve fou de croire qu’il pouvait être le Sean Connery du rap. Au fil des albums, il s’est autoproclamé prédicateur (Nastradamus, 1999), «fils de Dieu» (God’s Son, 2002) et s’est même représenté en pharaon sur la pochette de I Am, en 1999 (à ne pas confondre avec Akhenaton, jadis pharaon du groupe IAM, depuis devenu naze…). Mais la vérité est que le rappeur qui représente le quartier new-yorkais de Queensbridge n’a jamais réitéré le coup de génie de son premier album, Illmatic (1994). Même pas de loin. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé : King’s Disease est son treizième album.
Le rappeur à la tête du label Mass Appeal est à juste titre respecté par une large majorité du «game» mais, enchaînant déception sur déception (notamment depuis les années 2000), on imagine que son entourage a plus joué en sa faveur que ses créations. Il semble cependant que Nas, à l’approche de la cinquantaine, ait du mal à se défaire de l’idée de devenir un jour un roi. En 2018, celui qui se rêvait en pharaon a donné comme titre à son album produit par Kanye West son propre prénom, Nasir, pour une livraison de sept titres à taille humaine et largement plus qualitatifs que bon nombre de ses précédents travaux. Alors King’s Disease n’est peut-être pas seulement une référence à la goutte (appelée à une époque lointaine la «maladie des rois») mais bien un regard qu’il porte sur lui-même et son ego au sang bleu.
L’album a clairement les yeux tournés vers le propre passé de l’artiste. On lui cèdera que ce regard qu’il porte sur lui-même, quand il est honnête, est dur à avouer (sur The Cure, il assène : «Le marché me voit comme un vieux con d’artiste»). Mais la plupart du temps, on entend plus la voix de l’homme qui voulait être roi que celle de Nas. Et son autostigmatisation un brin suffisante n’est pas juste l’affaire d’un «ego trip» amusant comme celui dans lequel s’aventurent habituellement les rappeurs. Toujours dans The Cure : «Les McCartney survivent aux Lennon mais Lennon reste le meilleur». C’est un des nombreux exemples du Nas «ouin-ouin» qui apparaît sur l’album, et l’on passera rapidement sur Replace Me, dans lequel il se définit comme «la kryptonite» de son ex, la chanteuse Kelis, qui avait révélé avoir subi des violences, notamment physiques, de la part du rappeur, durant leur mariage. Idem pour 27Summers, qui réfléchit sur son parcours, dont il ne tire qu’une vision cliché, «beauf» et dépassée (il y parle de sa Rolls noire, de sa nouvelle marque de cognac et «fume de l’herbe en sirotant (son) Ricard»).
Le talent et l’intelligence de King’s Disease résident en réalité dans la sublime production de Hit-Boy, ancien protégé de Kanye West et collaborateur de l’ex-rival de Nas (et véritable roi de New-York) Jay-Z. Nas avait approché Hit-Boy à plusieurs reprises pour une collaboration –notamment en 2012, mais ce dernier avait perdu le disque dur contenant ses nombreux enregistrements avec Nas et Frank Ocean– et le producteur a ciselé sur mesure des instrumentaux «old school» qui collent parfaitement au style du rappeur et qui renvoient à ses premiers succès. Chaque morceau est une merveille à l’oreille, avec, peut-être, quelques futurs classiques, comme le très «groovy» All Bad, le minimaliste Full Circle, dans lequel Nas invite ses vieux potes de The Firm, mais aussi Dr. Dre et Robin Thicke, ou le «banger» Ultra Black. En espérant que sorte la version instrumentale…
Valentin Maniglia