Inspiré par les récits classiques de science-fiction à la française, auxquels il insuffle une véritable frénésie punk dans un univers graphique délirant, Arthur Qwak propose Apocalypse selon Lola, une nouvelle version de son Lola Cordova, sorti il y a quinze ans.
Passionné des images de synthèse et de l’animation numérique, Arthur Qwak en a même été l’un des pionniers en France, il y a quelques petites décennies déjà. En 2005, son court roman graphique de science-fiction Lola Cordova est édité chez Casterman. Celui-ci a tout pour devenir culte : une histoire qui part dans tous les sens, un traitement graphique hallucinant – et novateur pour l’époque – des lignes de dialogues écrites pour être citées… Et, bien sûr, son héroïne, Lola, prostituée et junkie, qui devient le seul espoir de sauver la Terre de la destruction. Elle est grande, belle, rend sexy ce qui est vulgaire et ne recule devant rien, même quand elle se fait kidnapper par des extraterrestres. Son arme secrète ? Le sexe, qu’elle fait découvrir dans des galaxies très lointaines à des aliens de toutes les tailles, couleurs et formes.
Toujours autant de folie visuelle
Apocalypse selon Lola vient de la volonté de son auteur de rééditer sa Lola en lui offrant une deuxième vie. «Il fallait la dépoussiérer et lui proposer un bel écrin», écrit l’éditeur Richard Saint-Martin, cofondateur des éditions Akileos, en préface de cette nouvelle version. Ainsi, Lola Cordova et Apocalypse selon Lola sont similaires mais très différents, Arthur Qwak ayant retravaillé l’album planche par planche, case par case, dialogue par dialogue, en opérant quelques légères modifications çà et là. Bref, on tient dans les mains une version véritablement revue et corrigée d’un album qui n’a, quinze ans plus tard, rien perdu de son mordant et de sa folie visuelle.
Ne répondant à aucune logique linéaire, la trame d’Apocalypse selon Lola se joue des contraintes temporelle et spatiale en développant son monde à elle, qui a à la fois un pied dans le réel et l’autre dans une myriade de systèmes solaires différents du nôtre. Comme l’un des personnages, on se demande même à un moment si toute cette histoire n’est pas simplement sortie de l’imagination de Lola, qui, entre deux explosions de bâtiments (auxquelles elle survit toujours sans une égratignure), est en proie à des hallucinations provoquées par le manque d’héroïne. Après tout, quand le manque arrive, elle voit des rats lui parcourir le corps, alors pourquoi pas des extraterrestres à la libido exacerbée ? Pourquoi pas des capsules qui, dix secondes après avoir été injectées, vous donnent un savoir immense ? Pourquoi pas Michael Schumacher prisonnier des glaces, au volant de son bolide Ferrari, depuis plus de 20 000 ans ?
Petit chef-d’œuvre punk
Oui, la bande dessinée d’Arthur Qwak est l’une des œuvres les plus délirantes de notre époque, mais plus encore que son scénario baroque, c’est son univers graphique que l’on ne manque pas de remarquer. Exubérant, libre et extrêmement travaillé, le traitement graphique, réalisé sur Adobe («ce qui était encore assez rare et souvent mal maîtrisé en 2005», rappelle l’éditeur), cache son lot de surprises dans chacune de ses planches. L’auteur y expérimente toutes ses idées les plus dingues : un découpage en cases carrées alternant le texte et le dessin, une magnifique double page avec, comme fond, un labyrinthe vu du dessus dans lequel est perdu son héroïne… Par-dessus le labyrinthe se greffent des cases de toutes formes (rondes, carrées, rectangulaires) qui poursuivent le récit. Le surcadrage est d’ailleurs présent dans chacune des planches d’Apocalypse selon Lola, l’auteur n’hésitant jamais à dessiner une case par-dessus une autre, à faire largement dépasser un personnage d’une case, voire à mettre deux personnages qui n’existent pas en même temps ni au même endroit dans une même case, en faisant un usage précieux des couleurs, qui ont, elles aussi, un rôle important dans la narration foutraque de ce petit chef-d’œuvre punk.
On entrevoit dans Lola les références d’Arthur Qwak : si son héroïne a l’air de descendre de la même lignée que la Barbarella de Jean-Claude Forest et que la Tank Girl de Jamie Hewlett, c’est sans doute parce qu’elle sort du même moule. Qwak est un enfant de la génération Métal hurlant et Galaxie, les deux magazines emblématiques de la science-fiction et de l’anticipation en langue française, le premier lié indéfectiblement à la BD, le second à la littérature; l’auteur réinvente même les couvertures de trois numéros de Galaxie pour y mettre en valeur son héroïne, court vêtue et «badass» à souhait, cela va de soi. L’intrigue, d’ailleurs, au fur et à mesure qu’elle se révèle, offre un hommage assez touchant à ces grandes heures de la SF (du milieu des années 1960 à la fin des années 1980) et les 62 pages qui racontent l’histoire de Lola apparaissent comme un vrai plongeon dans les récits abracadabrants de cette époque, transformés par la dimension définitivement rebelle qu’apporte Qwak.
L’auteur et son éditeur, Akileos – qui compte aussi dans son catalogue les 22 numéros de l’anthologie culte de comics de science-fiction Weird Science (1950-1953) jamais traduite en français avant cette publication, qui remonté à 2016 – ne se sont pas contentés de retravailler Lola, mais d’augmenter l’œuvre d’une quarantaine (!) de pages supplémentaires de dessins préparatoires, de nouvelles idées folles et de portraits rêvés de Lola où la filiation avec Tank Girl et ses autres modèles est explicité (Qwak invente une couverture de Métal hurlant à l’effigie de son personnage). Sur une double page, l’auteur imagine même Lola animer une hilarante foire aux questions pour expliquer toutes les incohérences de son histoire, ce qu’il fait avec un second degré délicieux. Le meilleur pour la fin : le «sex book» de Lola, ou les images cachées de l’héroïne… Le programme est apocalyptique : Lola nous prend par la main et nous emmène avec elle aux confins de la planète sexe. Il paraît que dans l’espace, personne ne peut nous entendre crier…
Valentin Maniglia
Mais un jour, elle fait un mauvais trip en s’injectant une capsule qui lui livre des informations confidentielles sur l’imminente extermination de la race humaine. Le sort de la Terre va alors reposer entre ses mains.