Le nouveau film du cinéaste japonais Kôji Fukada, A Girl Missing, est un drame contemporain plein de mystère et de tension. L’actrice Mariko Tsutsui, éclatante dans un rôle d’infirmière aux multiples facettes, est la force de ce long métrage, entre drame moral et thriller, au malaise ambiant.
Le Japonais Kôji Fukada est peut-être moins connu que ses compatriotes Hirokazu Kore-eda ou Kiyoshi Kurosawa, mais l’on s’y retrouve facilement dans son cinéma. Il a en commun avec le premier un travail qui traverse toute son œuvre, celui de l’étude des mœurs de la société japonaise. Avec le second, il partage l’amour du film de genre, ses drames allant souvent empiéter sur les plates-bandes du thriller ou du film d’horreur. Avec Harmonium, en 2016, Fukada mariait déjà l’élégance formelle, la complexité scénaristique et le réalisme dans un film dont la lenteur n’avait d’égale que la brutalité vertigineuse avec laquelle il traitait son sujet. L’actrice Mariko Tsutsui, premier rôle féminin de Harmonium, a été, selon le cinéaste, la principale inspiration pour ce nouveau film, A Girl Missing, sélectionné à Locarno puis à Toronto en 2019. «Je voulais faire un nouveau film où elle serait la protagoniste. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, l’histoire parlait de trois femmes qui avaient un lien (…) Puis j’ai décidé de changer le script et Mariko Tsutsui est devenue l’actrice principale. Ce n’était plus une histoire sur trois femmes, mais sur une seule.»
A Girl Missing, dont le titre original, Yokogao, peut se traduire par «profil latéral», est sorti la semaine dernière en France sous le titre L’Infirmière. Trois titres différents qui offrent chacun une clef de lecture pour cette histoire, une nouvelle fois, entre drame et thriller. C’est celle d’Ichiko (Mariko Tsutsui), infirmière à domicile qui va devenir la suspecte numéro un de la disparition de la sœur cadette de la famille dans laquelle elle travaille, et qui la considère comme l’un des membres à part entière. Les fantômes du passé défilent alors devant Ichiko, qu’elle devra affronter. Fukuda est contre toute forme de manichéisme et joue alors avec les pluralités (temporelles, caractérielles…), donnant ainsi aux trois titres (japonais, français et le titre international anglais) leur part de vérité. À propos du titre original, le réalisateur, également scénariste et monteur du film, analyse : «Ce qui est intéressant avec un profil latéral, c’est que l’on ne peut voir qu’un côté où l’autre à la fois, mais jamais les deux profils en même temps.» On aura compris où se cache le mystère, mais il vaut mieux ne pas plus en dévoiler.
Tout juste pourrait-on néanmoins révéler que la trame se joue sur deux temporalités différentes, et que celles-ci ont été tournées dans l’ordre chronologique. Entre la première partie du tournage, qui s’est déroulée sur dix jours, et la seconde, qui a duré deux semaines, l’équipe s’est octroyée une pause de trois semaines, peut-être aussi pour que Mariko Tsutsui se prépare à la suite, où elle donne le meilleur d’elle-même dans ce personnage qui instaure à lui seul un véritable sentiment de malaise.
Se concentrer uniquement sur le présent, les émotions
L’actrice, comme Fukuda, a eu une longue carrière dans le théâtre avant d’arriver au cinéma, et c’est peut-être les méthodes de travail apprises du passé qui les rend si complémentaires. «Je la comparerais à Ichiro Suzuki (NDLR : l’un des joueurs de base-ball les plus célèbres au Japon, qui a eu par la suite une carrière brillante aux États-Unis) : comme lui, elle a beaucoup de talent mais elle donne aussi des efforts quotidiens. L’une des choses que je lui ai demandées était de se concentrer uniquement sur le présent, les émotions, ses relations avec les autres acteurs», poursuit le réalisateur.
Quant à ses inspirations, Kôji Fukada ne manque jamais l’occasion de citer Éric Rohmer parmi ses modèles, à qui il rend toujours un hommage à peine déguisé. Dans A Girl Missing, le cinéaste dit s’être inspiré, pour l’histoire mais aussi pour l’une des scènes, des Nuits de la pleine lune (1984). «Je m’inspire souvent du quotidien», déclare Fukada. «À d’autres moments, je trouve mon inspiration dans des romans, des mangas, de performances d’acteurs. Pour ce film, j’ai aussi puisé dans un roman de Kundera, La Plaisanterie.» Un roman dans lequel, justement, la pluralité des points de vue et la déconstruction des apparences est un thème central. Rien n’est laissé au hasard chez Kôji Fukada.
Valentin Maniglia
A Girl Missing, de Kôji Fukada.