Frank Schleck rembobine à son tour le film de la Grande Boucle 2010 remportée sur tapis vert par son cadet.
Frank Schleck a fatalement réduit ses activités avec l’actuelle épidémie. Le Schleck Gran Fondo qu’il organise chaque année en mai à Mondorf a bien entendu été reporté. Il maintient son rôle d’ambassadeur pour les services de la marque 3T, mais les stages qu’il anime en qualité d’entraîneur ont été réduits à peau de chagrin. «C’est une année particulière et il faut faire avec, commente-t-il, philosophe. C’est un peu compliqué en ce moment. Je roule toujours et j’entraîne toujours des athlètes. La fin de l’année s’annonce un peu compliquée, je suppose. Avec toutes les restrictions, c’est difficile, mais il faut appliquer ces mesures.»
Vous arrive-t-il souvent de repenser à ce Tour de France 2010 remporté par Andy après le déclassement d’Alberto Contador ?
Frank Schleck : Forcément, on y repense. C’était trop frais lorsqu’on a arrêté notre carrière. Aujourd’hui, on a pris du recul et de temps en temps, on revient sur des anecdotes. On revoit des photos. Lors du Tour remporté par Andy, j’ai eu la malchance de tomber dans la quatrième étape sur les pavés du Nord. À l’approche de ce Tour, j’avais une très bonne forme. Je pense que c’est l’année où on était tous les deux les plus forts. J’étais très bien, mais voilà, je suis tombé. Mais oui, on y repense, d’autant plus qu’on a créé un groupe WhatsApp avec nos anciens coéquipiers.
On m’avait mis une plaque avec dix-huit vis qui sont toujours dans l’épaule d’ailleurs…
Vous aviez été opéré après votre chute qui était survenue au milieu de la première semaine de course. Vous aviez suivi la suite du Tour ?
Oui, bien sûr. Mais pas les jours qui ont suivi mon opération. J’avais eu quatre traits de fracture à l’épaule. On m’avait mis une plaque avec dix-huit vis qui sont toujours dans l’épaule d’ailleurs. J’étais resté deux jours à l’hôpital et avec le drainage, j’étais bien à la maison. À partir de là, j’avais suivi les étapes dès le début du reportage. J’ai vécu toutes les étapes d’encore plus près que si j’avais été sur le vélo, on va dire…
Que retenez-vous de marquant dans ce Tour de France 2010 ?
Ses deux succès d’étapes à Avoriaz et au Tourmalet et bien sûr ce saut de chaîne dans le Port de Balès (NDLR : où à l’arrivée de la 15e étape, à Bagnères-de-Luchon, il perdit son maillot jaune au profit d’Alberto Contador). Cela va rester longtemps dans les mémoires. Clairement, lors de l’attaque d’Andy, on a vu sur les images qu’Alberto semblait marquer le pas. Était-ce bien ou pas de sa part d’attaquer ? Chacun a son idée sur le sujet. On ne reviendra pas en arrière…
Vous en aviez pensé quoi à l’époque ?
Étant le frère d’Andy, je suis mal placé pour en parler, forcément. Les avis étaient partagés. Des personnes pensaient que la course, c’est la course et qu’il a eu raison. D’autres non. C’était son droit d’attaquer, c’est indiscutable. Mais s’il l’a fait, c’est peut-être qu’il ne devait pas se sentir sûr de lui. Après, on peut en discuter encore longtemps…
Vous est-il arrivé d’en reparler avec Contador ?
Non, on s’est rarement recroisés ensuite et je ne lui en ai jamais reparlé. Je crois même qu’Andy ne lui a jamais reparlé de ça. Et puis, je pense qu’il faut savoir tourner la page.
Et avec Andy, le sujet est souvent revenu entre vous ?
Oui, pendant longtemps on a reparlé de ça. Il était furieux, mais on est d’accord aujourd’hui pour dire qu’Alberto avait le droit d’attaquer. Même si ça montrait un vrai moment non pas de faiblesse, mais de fébrilité.
Le fait que, finalement, Andy soit déclaré vainqueur en 2012 (après le déclassement du coureur espagnol), comment l’avez-vous ressenti ?
C’est davantage une question pour Andy que pour moi. C’est clair et net que pour moi, c’est Andy le vainqueur du Tour 2010. Le fait qu’il ne soit pas monté sur le podium a laissé un goût amer. Forcément. Mais il peut se sentir comme un vainqueur.
Lorsque l’annonce de son succès a été officielle, vous vous trouviez au début du mois de février aux courses du Challenge de Majorque…
Je me souviens qu’on avait un sentiment d’amertume. L’atmosphère était alors au scandale. On ne souhaite pas être déclaré vainqueur sur tapis vert. C’est difficile de se montrer joyeux. Ce n’était pas le moment de le fêter, mais cela a été jugé par des juges et on ne peut pas dire qu’Andy a gagné à une loterie.
Avant ce fameux saut de chaîne, vous pensez donc qu’Andy avait pris la mesure de Contador ?
On a vu qu’Alberto n’était pas super avant cette étape. Mais il est aussi revenu très fort à la fin du Tour. En troisième semaine, il était mieux. De toute façon, il y aurait pu y avoir plein de scénarios différents. Andy était fort en première semaine lorsqu’il a gagné son étape à Avoriaz. On ne saura jamais ce qui serait arrivé…
Cette année-là, vous aviez officialisé au moment des championnats nationaux, soit une semaine avant le départ du Tour, que vous alliez intégrer en 2011 la nouvelle équipe luxembourgeoise montée par Flavio Becca. Avec quelles autres incidences que celle que Bjarne Riis allait écarter Kim Andersen de la direction sportive de Saxo Bank ?
C’était très clair. Avant que le Tour ne démarre, Bjarne, qui savait donc que nous quittions l’équipe, avait organisé un meeting avec toute l’équipe. Nous avions tous parlé de manière très franche. Bjarne avait fait d’Andy et moi les deux leaders, même si nous partions la saison suivante. Il avait été très clair et fair-play.
Bjarne (Riis) avait le droit d’être déçu et il n’avait pas le droit d’être fâché. Il s’en est tenu à ça durant ce Tour 2010
Le fait de ne pas avoir Kim Andersen présent sur la course avait influé ?
C’était logique d’une certaine façon. Bjarne avait le droit d’être déçu et il n’avait pas le droit d’être fâché. Il s’en est tenu à ça durant ce Tour 2010. Après, Kim restait en contact avec nous, on s’est bien débrouillés comme ça.
Après votre abandon, vous restiez en contact avec Andy tous les jours ?
Oui, bien sûr. Il m’appelait le soir et on parlait de l’étape. Du Tour. Ça lui manquait. Il lui manquait son frère, Kim (Andersen). C’était un peu compliqué pour lui, donc ça lui faisait du bien. Et le dernier jour, à Paris, je l’ai retrouvé au moment du défilé.
Entretien avec Denis Bastien
2 étapes, 1 podium, 2 top 5
Frank Schleck (40 ans) a remporté deux étapes du Tour de France, en 2006 à l’Alpe d’Huez et en 2009 au Grand-Bornand. Il a terminé troisième du Tour en 2011, quatrième en 2009 et, enfin, cinquième en 2008.