À peine revenu ce vendredi d’une «minuscule» sortie d’une cinquantaine de kilomètres «pendant la pause de midi», sourit-il, Ralph Diseviscourt a rembobiné le fil de son exploit à Vianden qui avait tenu en haleine une semaine plus tôt le monde du sport luxembourgeois. L’homme qui a bouclé la bagatelle de 915,39 kilomètres en 24 heures (kilométrage qui pourrait être légèrement augmenté, lire par ailleurs) dit ne pas encore avoir pleinement récupéré. On le comprend. Ce qui ne l’empêche pas de songer à son avenir. Vrai qu’à 44 ans, le nouveau recordman du monde, spécialiste de l’ultracyclisme, a encore des rêves plein les poches !
Racontez-nous ce qui s’est passé pour vous après le record établi dimanche à 14 h ?
Ralph Diseviscourt : Physiquement, j’étais beaucoup plus épuisé que ce que j’avais imaginé. J’avais l’expérience de courses beaucoup plus longues dans le passé [NDLR : en 2018, il terminait deuxième de la Race Across America, a remporté trois fois la Race Across Italie (2016, 2018 et 2019), une fois la Race Across France…]. Il s’agissait en fait d’un effort beaucoup plus intense que ce que j’ai l’habitude de faire. Donc lundi et mardi, je n’ai pas pu bouger beaucoup. Mais ces derniers jours, les courbatures disparaissent, la récupération avance bien. Il me faudra encore quelques jours pour que je me sente bien en superficie. Et quelques semaines pour récupérer à 100 %.
J’étais allé au bout du bout et l’émotion était énorme. Je n’imaginais pas pouvoir réaliser une telle distance
La nuit qui a suivi votre record, vous avez beaucoup dormi ?
Non, pas vraiment. L’adrénaline avait été importante. J’étais allé au bout du bout et l’émotion était énorme. Je n’imaginais pas pouvoir réaliser une telle distance, je l’espérais bien sûr mais c’était nouveau pour moi ce type d’effort. Je suis vraiment heureux, cela s’est vraiment bien passé. Et puis l’ambiance qu’il y avait sur le site était magnifique, pendant et après. Le site (réservoir de la centrale hydroélectrique de Vianden) ne permet pas de gérer un grand afflux de spectateurs. Cela reste un circuit très étroit. Et il fallait prendre des précautions pour des raisons évidentes de sécurité. Le site continuait de produire de l’énergie durant ces 24 heures. Si quelque chose était tombé dans l’eau et rentré dans les turbines, cela aurait pu avoir de grosses conséquences. Je ne voulais pas prendre cette responsabilité. Des gens ont pu être déçus d’attendre longtemps avant de pouvoir monter sur la passerelle ou car ils n’ont pu rester longtemps. Mais on était obligés de gérer l’afflux du public et le propriétaire du site a bien fait les choses.
Quelle image forte allez-vous garder ?
Les moments qui m’ont marqué sont concentrés à la fin de ces 24 heures et surtout à l’arrivée. Le moment où tu réalises que tu vas battre tous les records, c’est fort. Pour le record du monde de 894,3 kilomètres (NDLR : le record de 24 heures en circuit alors détenu par l’Australien Mitchel Andersen), j’étais assez confiant déjà à quelques heures de l’arrivée, je savais que ce serait bon. Mais pour le record de Christoph Strasser (l’Autrichien avait établi le record absolu, sur route), de 913,4 kilomètres, je savais que ce serait très juste. Ça s’est joué à très peu. À dix minutes de la fin, je me suis dit que c’était bon. C’était un grand moment. Un autre moment que je garde en tête, c’est le samedi soir. Des copains m’avaient réservé une surprise. Des montgolfières survolaient le site quelques mètres au-dessus de l’eau. C’était magique.
Quel aura été le moment le plus dur ?
Les moments les plus durs, c’était la nuit. En journée, il y avait un peu de vent mais je le savais par avance, ce n’était pas une surprise car le circuit est exposé. Mais je ne pensais pas que le vent soufflerait plus fort la nuit. Du coup, la température a chuté jusqu’à cinq, six degrés. Cela m’a pris beaucoup d’énergie. Puis j’ai baissé le rythme d’une manière importante. Cela m’a freiné. J’ai passé quelques heures très dures.
Devenir le cycliste qui parcourt le plus de kilomètres en 24 heures, cela vous rend fier ?
Oui, c’est symbolique. En cyclisme, il y a le record de l’heure (NDLR : sur piste) qui est assez mythique. Mais après, je pense que ce record de 24 heures représente quelque chose. L’idée m’est venue au mois de mai, pas avant, et cela s’est concrétisé. J’ai cherché à comprendre comment les records précédents avaient été établis. Et je me suis dit que ces records n’avaient pas été établis dans les meilleures conditions. Strasser, par exemple, s’était produit une fois en hiver à Berlin avec zéro degré et de la pluie. J’ai pensé qu’il y avait moyen de mieux faire. J’ai regardé également toutes les autres performances. J’ai pensé qu’il y avait moyen de les améliorer. On ne peut avoir de garantie, mais j’avais confiance. Je n’ai jamais eu en tête un scénario où je pouvais échouer. Juste avant de partir, Tom Flammang (RTL Télé) m’a posé la question de savoir si j’arrêterais au cas où j’accumulerais trop de retard. Je l’ai regardé et je lui ai dit : « Quel retard ? Il n’y aura pas de retard ! » (il rit). C’était inimaginable pour moi.
Je voulais réaliser quelque chose au Luxembourg(…) Je pense que cela a ouvert les yeux à beaucoup de gens
Réaliser cet exploit au Luxembourg a-t-il compté ?
Oui, je voulais réaliser quelque chose au Luxembourg. Je voulais que le public voit ce que cela voulait dire. Je pense que cela a ouvert les yeux à beaucoup de gens. Rouler sur des courses des jours et des jours entiers, cela ne leur parle pas. En net, sur 24 heures, j’ai réalisé 39 km/h, en brut, c’est 38,3 km/h. J’ai eu treize minutes de pause. Dans les premières heures, j’étais à un peu plus de 40 km/h.
Ce record, vous espérez le garder longtemps ?
J’ai tenté ce record également parce que Strasser a expliqué qu’il voulait dépasser la barre des mille kilomètres parcourus en 24 heures. Il avait prévu de s’élancer au mois de septembre-octobre, aux États-Unis et en altitude. Mais là, avec l’épidémie de coronavirus, c’est tombé à l’eau pour 2020. Donc je me suis dit que si je voulais détenir ce record un jour, il valait mieux le faire avant.
Si Strasser battait ce record, vous avez songé à une nouvelle tentative ultérieure ?
C’est encore un peu tôt. Il me faudra d’abord tirer les conclusions de notre expérience. Beaucoup de choses ont bien marché. Mais il y a des points qu’on peut encore améliorer. On n’est pas encore à 100 %, c’est super ce qu’on a fait mais il y a moyen de faire encore mieux. Le site est bien, il a des avantages, mais sur une partie du parcours, le revêtement n’est pas top. Ce qui me fait penser qu’avec un bon revêtement, tu peux gagner quelques kilomètres encore.
Allez-vous réorienter votre carrière en fonction de ces records ?
Non, je ne vais pas me mettre à tourner en rond (il rit). J’aime encore les grands espaces. Dans quatre semaines, j’ai prévu de participer au Tour d’Autriche. C’est l’une des seules épreuves qui a été maintenue en 2020. Elle se dispute au même moment que le Tour de Suisse et la Race Across France que j’avais remportée l’an passé. En Autriche, je ne me suis pas encore imposé, c’est pour ça que j’ai décidé d’y retourner. Mais la concurrence sera très rude. Je vais retrouver les meilleurs au monde, dont Strasser… Il me fallait faire un choix. Aussi, une tentative sur piste pourrait me tenter mais la monotonie serait encore plus grande. Le Tour d’Autriche fait 2 200 kilomètres, j’avais terminé deuxième en 2017.
Quels sont les messages de félicitations qui vous ont touché ?
Le premier qui m’a surpris était celui du ministre des Sports et ça fait toujours plaisir. Et jeudi, j’ai reçu une lettre du Grand-Duc. Donc celle-là m’a fait très plaisir.
Vous vous sentez reconnu aujourd’hui ?
Oui, cela a mis du temps mais voilà. Je ne peux pas demander plus.
Entretien avec Denis Bastien
Le record finalement porté de 915 à 920 kilomètres ?
Dimanche dernier, à 14 h, Ralph Diseviscourt a établi le nouveau record de distance parcourue en 24 heures à l’extérieur. La distance de 915,39 kilomètres avait été établie. Mais il est possible que cette distance soit légèrement corrigée. À la faveur du coureur luxembourgeois. Explications : «Je suis en train de négocier avec la fédération internationale d’ultracyclisme pour qu’on m’accorde quelques kilomètres supplémentaires. Sur mon Garmin, j’avais 927 kilomètres qui s’affichaient. Les 915 kilomètres ont été calculés sur la base de l’homologation du parcours qui a été faite. Dans le règlement, il est dit qu’il faut calculer le chemin le plus court possible sur le circuit. En gardant un pied, soit trente centimètres, par rapport au bord de la route. Or sur ce parcours, il est impossible de rouler à trente centimètres, à cause des glissières. Je suis à cinquante, voire soixante centimètres du bord, si ce n’est pas un mètre. La fédération est réceptive aux documents que j’ai envoyés. Ils vont sans doute changer le règlement et m’accorder quelques kilomètres de plus. Si on part du principe que j’ai roulé à deux pieds du bord de la route, ils pourraient rajouter une dizaine de kilomètres. Je ne serais pas à 927 kilomètres, mais sans doute entre les deux. C’est vrai que je n’y avais pas pensé au moment de l’homologation du circuit. Lors des tests, je voyais que je parcourais plus de kilomètres que ce qui était affiché sur le papier. Sur 200 tours, ça finit par compter…» À suivre !
D. B.