La condamnation mercredi en Allemagne de l’ancien comptable d’Auschwitz marque l’aboutissement de 50 ans de combat judiciaire pour qualifier le camp emblématique de la Shoah de « machine » collective de mort, et punir en conséquence le moindre de ses rouages.
Oskar Gröning, 94 ans, a été condamné ce mercredi à 4 ans de prison pour « complicité » dans le meurtre de 300 000 Juifs hongrois. Un verdict légèrement supérieur aux trois ans et demi d’emprisonnement requis le 7 juillet par le parquet, mais dans le bas de la fourchette de trois à quinze ans de prison encourus pour de tels crimes.
Oskar Gröning est reparti libre. Compte tenu de son âge, il est peu probable qu’il soit jugé médicalement apte à être incarcéré, selon une source judiciaire, d’autant qu’un éventuel recours suspendrait l’exécution de la peine.
« Auschwitz était une machine entièrement destinée à tuer des gens », a déclaré Franz Kompisch, président du tribunal de Lunebourg, pour expliquer la condamnation. Cette simple phrase « nous l’avons attendue toute une vie », ont réagi les représentants de la cinquantaine de parties civiles – rescapés d’Auschwitz et proches des victimes – saluant une décision qui les « aidera à mieux vivre avec (leur) souffrance ».
En raisonnant ainsi, le tribunal a balayé la thèse de la défense, qui avait plaidé l’acquittement en soutenant que l’ancien SS, chargé de trier les devises des déportés, assumait une tâche administrative distincte de l’extermination.
Le verdict a également repris la formule d’un avocat des parties civiles, Cornelius Nestler, pour qui « Auschwitz est un lieu auquel personne n’aurait dû participer ». L’accusé lui même l’avait fait sienne mardi, avant de présenter des excuses une dernière fois, d’une voix tremblante, après un premier « pardon » fin avril.
Au delà du cas de Gröning, cette décision marque le triomphe, cinquante ans après, de la thèse défendue par l’ancien procureur général Fritz Bauer, figure si importante qu’elle a inspiré un succès récent au cinéma, « Le labyrinthe du silence », de Giulio Ricciarelli.
« La justice allemande suit enfin, bien que beaucoup trop tard, les principes » que M. Bauer avait tenté d’établir lors des célèbres « procès de Francfort » des années 1960, qui avaient éclairé l’opinion sur les horreurs d’Auschwitz, ont souligné les parties civiles.
« Parfaitement organisée »
Le magistrat avait dépeint Auschwitz en « entreprise » dédiée à l’extermination et avait renvoyé ensemble devant le tribunal des accusés chargés de tâches très variées au sein du camp – dentiste, pharmacien, kapo, chefs de bloc ou officiers.
« Les actes de tout membre d’un camp d’extermination » constituent un crime, « qu’il ait ou non contribué physiquement à la gestion du camp et par conséquent à la +solution finale+ », soutenait Bauer, dans une phrase rappelée par Cornelius Nestler au procès Gröning.
Si les audiences de Francfort avaient eu un rôle pédagogique, la justice avait refusé d’envisager Auschwitz comme un tout, et a exigé pendant des décennies la preuve de ce que chaque employé d’un camp de la mort avait individuellement commis.
Cette ligne, qui s’est traduite par l’abandon d’un grand nombre de procédures, a vacillé une première fois en 2011, avec la condamnation à cinq ans de prison de John Demjanjuk, ancien gardien de Sobibor, pour sa « seule présence » au sein du camp.
Resté isolé, ce verdict n’a pas été confirmé par la Cour fédérale de justice, en raison du décès de Demjanjuk en mars 2012. Rien ne garantissait, par ailleurs, que le raisonnement adopté pour le pur camp de la mort qu’était Sobibor serait transposé à Auschwitz, complexe mixte mêlant camps de travail et d’extermination.
C’est chose faite avec le verdict de Lunebourg, qui refuse d’examiner le rôle précis de Gröning et insiste sur la nature de la Shoah, aussi « insupportable pour l’esprit humain » que « parfaitement organisée », « comme une administration ».
Sur les 6 500 SS d’Auschwitz qui ont survécu à la guerre, seuls 44, dont Gröning, ont été jugés en Allemagne. D’autres procédures sont en cours mais « la fenêtre de tir » se refermera « bientôt », a souligné mercredi Efraim Zuroff, directeur du centre Simon Wiesenthal en Israël, appelant à traiter ces enquêtes « en extrême urgence ».
AFP