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CCDH : «Le gouvernement doit communiquer !»


Le gouvernement n'ayant pas jugé nécessaire de consulter la CCDH, celle-ci s'est autosaisie du nouveau projet de loi et réitère ses premières recommandations, qui n'avaient pas été suivies.(Photo : Fabrizio Pizzolante)

La Commission consultative des droits de l’homme a rendu son avis sur un projet de loi visant à prolonger jusqu’à fin septembre une série de mesures liées au Covid-19. Elle déplore un manque de transparence.

Il y a un mois, la Commission consultative des droits de l’homme (CCDH) rendait son avis, mitigé, sur le projet de loi destiné à introduire «des mesures concernant les personnes physiques dans le cadre de la lutte contre le virus» (lire notre édition du 11 juin). Mardi, c’est sur le projet de loi prenant le relais de ce dernier que la CCDH a donné son avis. Nouveau projet dont elle s’est d’ailleurs autosaisie, «le gouvernement n’ayant pas considéré nécessaire de demander l’avis de la CCDH».

Le projet de loi n° 7622 fusionne les deux lois qui ont permis de donner un cadre légal à la sortie de l’état d’urgence du pays le 24 juin tout en continuant à faire face à la crise liée à la pandémie de Covid-19. Il s’agit de la loi précédemment citée concernant les personnes physiques ainsi que de la loi du 24 juin introduisant une série de mesures concernant les activités sportives et culturelles notamment. Ce nouveau projet de loi «proroge, adapte et renforce» les mesures instituées par ces deux textes, et ce, jusqu’au 30 septembre, quand les précédentes lois n’avaient une durée d’application que d’un mois seulement.

«Nous nous demandons si cette durée d’application de deux mois au lieu d’un seul est tout simplement due au fait que la Chambre va prendre ses vacances d’été. Or pour nous, des questions d’ordre administratif ne doivent pas être une raison pour prolonger des mesures restrictives au-delà du nécessaire. Dès qu’il y a de nouvelles données scientifiques, il faut retravailler le texte, il ne faut pas attendre le 30 septembre», désapprouve Anamarija Tunjic, juriste de la CCDH, qui ajoute : «Par ailleurs, la Chambre reprend généralement vers le 15 octobre. Peut-être la date du 30 septembre a-t-elle été fixée un peu plus en amont pour pouvoir retravailler le texte. Mais ce délai n’est sans doute pas suffisant. Ils devraient commencer à retravailler le texte bien avant, sans quoi nous risquons de nous retrouver à nouveau dans l’urgence.»

Le projet de loi n° 7622 prévoit en effet de nouvelles restrictions en sus de celles déjà instaurées par les deux textes initiaux qui méritent réflexion et de ne pas s’ancrer dans le temps sans raison valable, selon la CCDH. Ainsi, l’interdiction des rassemblements de plus de 20 personnes (sauf lorsque des places assises sont disponibles et que la distanciation physique est garantie) n’est plus seulement limitée à la seule voie publique ou aux lieux accessibles au public, mais s’appliquera à l’avenir également aux lieux privés. Un durcissement justifié par «la situation épidémiologique de l’infection Covid-19 au Luxembourg [qui] vient de changer», ont fait savoir les législateurs.

Or, d’après la CCDH, le Conseil d’État s’appuierait pour justifier cette décision sur une étude menée par l’université du Luxembourg datée du 20 juin. «Ces données étaient donc déjà disponibles avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 juin», note la CCDH, qui ajoute dans son rapport : «Si ces données ne justifiaient pas des restrictions dans la sphère privée à ce moment-là, la CCDH a du mal à suivre le ministère de la Santé lorsqu’il se base sur ces données dans le cadre du présent projet de loi et se demande s’il se réfère à d’autres évidences ou recommandations scientifiques nationales ou internationales et qui ne sont pas mentionnées.»

Accès insuffisant aux données scientifiques

C’est là l’un des principaux reproches réitérés à l’encontre du gouvernement par la CCDH : «l’accès insuffisant aux données scientifiques justifiant les nouvelles restrictions». La CCDH l’enjoint donc de publier et communiquer «systématiquement» ces données, qui elles seules peuvent justifier de nouvelles restrictions.

Le nouveau projet de loi ne prévoyant pas d’autres changements majeurs par rapport aux textes qu’il reprend, la CCDH maintient en outre ses premières recommandations, dont la majorité n’avaient alors pas été suivies – «ce qu’on regrette fortement», souligne Anamarija Tunjic.

Si plusieurs recommandations de la CCDH concernant la protection des données personnelles ont elles été reprises dans la loi actuelle (notamment du fait que d’autres acteurs, tels que la Commission nationale pour la protection des données, avaient aussi appuyé cet aspect), le reste des recommandations (concernant l’hospitalisation forcée d’une personne atteinte de Covid-19 ou la mise en quarantaine des personnes suspectées d’être infectées par exemple) aurait dû donner lieu à un débat. Car, la CCDH insiste, les mesures de restriction doivent impérativement suivre un mot d’ordre : le respect des principes de nécessité et de proportionnalité.

«Dès que des restrictions sont adoptées, on remarque qu’il y a une certaine acceptation de ces restrictions, et par la suite, on ne prévoit plus de changement. Or plein de questions se posaient. Le gouvernement n’a pas utilisé ce temps pour améliorer le texte et prévoir des modifications. Nous espérons fortement qu’il va profiter de ces deux mois pour l’adapter et le rendre plus conforme aux droits de l’homme», conclut Anamarija Tunjic.

Tatiana Salvan