Mieux connaître une espèce, c’est mieux pouvoir la protéger. L’équipe de bénévoles de la station de baguage des oiseaux de la Schlammwiss nous montre comment y parvenir.
Neuf heures du matin dimanche, une vingtaine de personnes ont pris le départ, depuis le terrain de football d’Uebersyren, d’un chemin qui traverse la réserve naturelle Schlammwiss à la rencontre des oiseaux. Natur&ëmwelt y organise chaque semaine des visites. Le groupe s’avance masqué au milieu d’un paysage verdoyant de roseaux immenses et de graminées à 15 minutes du centre-ville de Luxembourg en direction de la station de baguage. Un demi-million d’oiseaux y ont été bagués depuis un demi-siècle. Certains ont été retrouvés au Kenya, au Gabon ou en Russie.
La nature très diversifiée du site et les différents habitats qu’il offre attirent de nombreuses espèces d’oiseaux qui viennent y reprendre des forces avant de retourner à leur migration ou y nidifier. Ce qui en fait un endroit très prisé pour les étudier. Mais pas uniquement. «Il est important de créer des corridors pour aider les oiseaux à progresser pendant leur migration», note Charel Klein, étudiant en biologie de la faune et guide bénévole. «Des endroits comme cette réserve naturelle permettent aux oiseaux de se reposer avant, par exemple, de traverser des déserts ou de survoler des villes.» Sept milliards d’oiseaux migrent chaque année, mais à peine un tiers parviennent à faire le voyage du retour.
Le groupe s’enfonce doucement dans la plus grande roselière du Luxembourg. Entre les roseaux, des filets à peine visibles. Ils sont déployés le matin ou la nuit en fonction des habitudes des différentes espèces. Les oiseaux viennent s’y prendre. «Ils y reposent comme dans un hamac pendant une heure maximum avant que nous venions les décrocher pour pouvoir les baguer», rassure Charel Klein. «Il faut savoir les manipuler. Les os des oiseaux sont creux et remplis d’air pour avoir le moins de poids possible. Nous diffusons des chants d’oiseau pour les inciter à voler en direction des filets. Cela nous permet d’observer des espèces rares ou qui ne sont pas indigènes au Luxembourg, ainsi que de déterminer comment une population donnée se porte.»
Les migrations reprennent d’ici un mois, la réserve naturelle servira notamment de dortoir à près de 40 000 hirondelles. «Les étourneaux s’arrêtent ici aussi. Ils sont entre 20 000 et 30 000. Tous ces oiseaux attirent les prédateurs comme les éperviers – des oiseaux qui mangent d’autres oiseaux – ou, la nuit, des renards, un chat sauvage, une chouette. Ils vivent tous de la richesse de cette nature», note Charel Klein. Et principalement de celle des roseaux. La rousserolle effarvatte et la fauvette des marais y construisent leurs nids à un mètre du sol sur les cannes de l’année précédente.
«Les cannes sont pleines d’insectes et servent de garde-manger durant l’hiver aux mésanges bleues ou aux piverts, par exemple, poursuit le guide. Une roselière est en toute saison un environnement et une source d’alimentation pour de nombreuses espèces.» La roselière s’étend sur un kilomètre entre les étangs et les champs le long de la vallée de la Syre. Les oiseaux peuvent également profiter d’un verger, d’une forêt et d’un des bassins de la station d’épuration toute proche de la réserve naturelle. Cela permet d’attirer des espèces frugivores et insectivores supplémentaires pour les étudier.
Chaque bague est unique
Les filets sont inspectés toutes les heures. «S’ils sont exposés trop longtemps à de grosses chaleurs ou à la pluie, les oiseaux peuvent souffrir, ce qui n’est pas notre but, rassure Charel Klein. Les oiseaux sont libérés des filets selon des techniques précises et placés dans des bourses en tissu pour les calmer. Ils sont ensuite apportés au centre de baguage avant d’être libérés.» Des nasses permettent d’attraper des oiseaux vivant sur l’eau ou sur les berges.
À la station de baguage, des bénévoles de l’association passent des bagues aux pattes de divers spécimens à plumes sous le regard fasciné des enfants venus visiter la réserve naturelle avec leurs parents. Chaque bague est unique. Chacune est porteuse d’un code alphanumérique individuel. Couplée à un fichier contenant diverses informations et données biométriques, elle permet, si l’oiseau est à nouveau repéré dans une station de baguage, de retracer certaines choses de sa vie ou de celle de son espèce comme le comportement migratoire ou alimentaire, l’espérance de vie, entre autres. «Il y a énormément de sujets d’étude différents dans pas mal de branches. Plus on en sait sur une espèce, plus on est en mesure de la protéger, poursuit Charel Klein. Les données sont échangées entre pays. Les bagues nous permettent de contrôler l’état de santé d’un oiseau, à savoir s’il prend du poids ou pas, ainsi que l’état de la population d’une espèce. (…) Chaque espèce a des stratégies différentes pour transmettre ses gènes.»
Notre guide manipule les oiseaux avec précaution pour expliquer les habitudes de migration, de vol, de nidification ou les caractéristiques des différents oiseaux capturés au petit matin, comme ce magnifique geai des chênes, avant de les relâcher les uns après les autres.
L’agriculture intensive, les modes de consommation et l’activité humaine, l’occupation des sols, le changement climatique… sont de bien plus grands prédateurs que les renards et les chats. La visite aura été très instructive. Elle a notamment montré que les animaux ont besoin d’environnements favorables à leur prospérité et convergent en masse quand ils se présentent à eux. Mais aussi que la nature est un tout et que chaque élément qui la compose a besoin de l’autre pour survivre. 421 millions d’oiseaux ont disparu en moins de 30 ans en Europe et de plus en plus d’espèces sont en déclin.
Sophie Kieffer