L’Initiative pour un devoir de vigilance souhaite que les aides étatiques en faveur de la relance économique soient uniquement accordées aux entreprises respectueuses des droits humains. Franz Fayot y réfléchit.
«La crise du Covid a montré la fragilité et le manque de transparence de certaines chaînes de valeur et a eu des conséquences dramatiques au niveau des droits humains des travailleurs et des communautés concernés. Les personnes qui ont souffert le plus pendant la crise actuelle sont celles qui se trouvaient déjà en difficulté dans ce modèle économique avant la crise», alerte Antoniya Argirova, responsable Travail politique au sein de l’ASBL Action solidarité tiers monde et membre de l’Initiative pour un devoir de vigilance.
Depuis deux ans, cette coalition de seize organisations de la société civile luxembourgeoise milite pour l’adoption d’une législation visant à obliger les entreprises à respecter les droits humains et les normes environnementales.
Les industries minière et textile, dont les activités sont essentiellement situées dans les pays du Sud et déjà décriées en temps normal pour leur gestion le plus souvent déplorable de l’humain et pour leur impact sur la planète, sont particulièrement pointées du doigt par les coalitions civiles et les ONG.
«L’état d’urgence a été déclaré dans de nombreux pays, y compris dans le Sud, et la plupart des activités économiques ont alors dû cesser. Mais, grâce au lobbying et à la pression exercée sur les autorités, les activités minières, souvent gérées par de grandes multinationales qui ont beaucoup de poids, ont été classées comme essentielles et ont donc pu être poursuivies», s’insurge Antoniya Argirova.
Les entreprises minières ont non seulement poursuivi leurs activités malgré les risques, mais elles ont aussi sciemment exposé leurs travailleurs à d’importantes menaces pour leur santé en ignorant la pandémie, comme l’a montré un rapport produit par une coalition d’ONG, dont Earthworks. Aucune protection, non-respect des règles sanitaires… les travailleurs se sont systématiquement plaints de l’absence totale de mesures de sécurité. «Il ne faut pas oublier que l’Amérique latine, où se trouvent de nombreuses mines, est le continent qui connaît le plus de contaminations de Covid. C’est donc inquiétant que certains secteurs continuent de fonctionner sans garantir les conditions de sécurité sanitaire», signale Antoniya Argirova.
Ce rapport montre aussi que «les entreprises minières et les gouvernements profitent de la pandémie pour réformer le secteur minier à leur avantage et au détriment de la planète et des populations».
Contestations interdites
Des avantages qui ont pu être d’autant plus facilement obtenus que la contestation sociale n’a elle pas été autorisée en raison de la pandémie de Covid-19, comme l’explique Antoniya Argirova : «Il y a énormément de contestation sociale autour de la plupart des projets miniers du fait de leur impact environnemental, mais aussi de la question des droits fonciers, de l’accaparement des terres, des droits des peuples indigènes, parce que les communautés n’ont pas été proprement consultées lors du lancement du projet ou parce que des solutions n’ont pas été prévues alors que ces terres assuraient leurs moyens de subsistance. Ces contestations bloquent parfois complètement des projets miniers. Mais pendant la crise, en raison des restrictions de rassemblement, celles-ci n’ont pas pu avoir lieu. Les entreprises profitent donc de la situation d’état d’urgence pour poursuivre des activités avec lesquelles les communautés locales ne sont pas forcément d’accord.»
Pour le secteur textile, c’est «le phénomène inverse qui s’est produit», indique la responsable Travail politique. Face à la crise, de nombreuses marques ont en effet différé, suspendu voire annulé leurs commandes, sans en assumer la responsabilité financière et en laissant peser le coût des pertes (qui se chiffrent en milliards) sur les sous-traitants. Et cela, quand bien même ces commandes avaient déjà été réalisées par les travailleurs, pour la plupart localisés en Asie, laissant ainsi des millions d’entre eux sans aucune ressource. Face au scandale, quelques-unes d’entre elles ont toutefois promis de payer les commandes réalisées.
Des situations injustes, qui montrent une fois de plus la nécessité de procéder à une transformation de l’économie telle que nous la connaissons, selon l’Initiative pour un devoir de vigilance : «La crise a montré que ce modèle économique ne fonctionne pas bien. Dans le contexte de la relance, il semble important de remettre les droits humains au centre de la question économique et d’arrêter de les considérer comme quelque chose d’accessoire, comme un simple atout. L’humain doit être placé au centre des priorités économiques. L’économie doit être au service de l’humain et non l’inverse.»
Pour cela, l’Initiative a soumis une série de propositions au gouvernement afin que les aides financières ainsi que les facilités accordées par l’Office du Ducroire ou dans le cadre du Business Partnership Facility soient dépendantes du respect des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme, principes avalisés en 2011 et référence actuelle en la matière. «Le respect des droits humains doit être une condition d’accès aux aides et facilités accordées par l’État luxembourgeois aux entreprises privées», insiste Antoniya Argirova.
C’est là aussi l’occasion de préparer les entreprises au changement inéluctable qui se profile. Une réglementation européenne contraignante sur le devoir de vigilance devrait en effet être adoptée en 2021. «D’une manière ou d’une autre, il y aura une législation, que ça vienne du niveau national ou du niveau européen. Il faut y préparer les entreprises et ces mesures constituent une bonne opportunité pour entamer cette démarche.»
Le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a d’ailleurs lancé une étude complète en la matière menée par l’université du Luxembourg qui devrait être publiée d’ici la fin de l’année.
L’Initiative attend désormais la réponse du ministre de l’Économie, Franz Fayot, face à ses propositions. «Nous les lui avons présentées il y a quelques semaines, il nous a dit qu’il allait y réfléchir. Nous allons sous peu demander un deuxième entretien pour voir quel est le résultat de sa réflexion», a annoncé Antoniya Argirova.
Tatiana Salvan