Dirk Carlson et Karlsruhe viennent de se maintenir à la dernière journée et pour deux petits buts seulement en 2e Bundesliga. Pour sa première saison chez les pros, cela n’aurait pu être plus beau.
L’arrière gauche de Karlsruhe est aux anges. Ses douze premiers mois dans le monde professionnel se sont achevés sur une apothéose sur la pelouse de Greuther Fürth, dimanche, et d’un point de vue strictement individuel, il estime avoir outrepassé ses plus grandes attentes. À 22 ans, il en redemande!
Comment allez-vous maintenant que vous êtes un vacancier heureux ?
Dirk Carlson : Ma voix est encore cassée à cause de la fête…
Il y en a eu une ? En plein coronavirus, à quoi ressemblait la fête du maintien du Karlsruher SC ?
Je ne sais pas si je peux le dire, mais la façon dont ça s’est passé… Quand on est arrivés à Karlsruhe, il y avait une foule… oh mon dieu! Les fans nous attendaient, il y avait des banderoles, et même des feux d’artifice. Ils ont stoppé le bus et carrément cassé la porte. Ils voulaient tous entrer dedans! On a fini par parvenir jusqu’au parking, les barrières ont été fermées et on a fêté ça entre nous, joueurs, qui étions tous négatifs et ça on le savait parce qu’on est testés tous les trois jours.
Pas embêté dans la rue ces dernières 48 heures ?
Je n’habite pas dans le centre, mais dans un petit village dans les bois, sans bruit, à trois kilomètres du stade. Je vis au deuxième étage d’une maison dont les autres étages sont occupés par deux frères, Ralf et Georg, qui sont KSC à fond! Ces deux-là font tout pour moi. Ils me font même la cuisine des fois. Il n’y a pas longtemps, j’ai acheté une machine à laver que je n’avais pas pris le temps d’installer. Le lendemain matin, ils avaient tout branché, il n’y avait plus qu’à la mettre en route! Donc, forcément… Mais je ne sors pas beaucoup, je me déplace en vélo, je ne vais pas forcément au ciné ou ce genre de choses. Je ne recherche pas beaucoup la société – je suis un peu chiant – et je passe beaucoup trop de temps à mon goût sur mon téléphone. Je suis tout seul chez moi, je ne fais pas d’études, je ne joue pas à la console… Alors, je lis beaucoup et les gens qui me connaissent savent que c’est un fait qui prouve que quelque chose ne va pas (il rit).
J’ai remarqué que dans le football, il faut être confortable
Vous restez chez Ralf et Georg, la saison prochaine ?
Ah je ne change pas d’appartement non ! J’ai remarqué que dans le football, il faut être confortable. Dans un club où le maillot est plus lourd que d’autres, c’est important.
Vous avez senti le poids de ce maillot durant toute cette saison ?
Je ne savais pas ce qui m’attendait. Juste avant la pause hivernale, nous avions perdu deux matches de suite à domicile contre Greuther Fürth et Wiesbaden (NDLR : 1-5 et 0-1). Vous savez ce qu’ils ont fait, les supporters ? Ils ont tiré sur nous avec des pièces de monnaie, alors qu’on était en train de venir les remercier pour leur soutien. Du coup, vu là où j’habitais, j’ai eu du mal à différencier ce qui était ma vie privée et mon boulot.
Parlons de votre boulot alors. Ce scénario qui vous voit dépasser Nuremberg à la dernière journée et plus précisément à 30 minutes du coup de sifflet final, est complètement dingue, non ?
On reste en 2e Bundesliga pour seulement deux buts alors que Nuremberg gagne un match 6-0 il y a deux semaines puis en perd un autre 6-0 dans la foulée (NDLR : contre Wiesbaden puis Stuttgart). Deux buts sur une saison, c’est rien du tout. Vivre ça, c’est extraordinaire. Ce sont des émotions pures.
Comment avez-vous trouvé cette première saison professionnelle ?
Avant la saison, peu de gens, moi y compris, auraient parié que je jouerais 18 matches dont 16 en tant que titulaire. En plus, j’ai fait de bons matches hormis contre Bielefeld (NDLR : il s’est rendu coupable d’une passe en retrait qui a offert un but sur un plateau au futur pensionnaire de Bundesliga, il y a deux semaines). Mais j’ai progressé mentalement. Si un tel truc m’était arrivé il y a six mois, j’aurais quitté le terrain, je me serais sûrement mis à pleurer et je me serais peut-être même suicidé. Au lieu de ça, j’ai analysé les images directement après le match et je me suis rendu compte qu’il y a un mauvais rebond, que j’ai pris mon geste trop à la légère. Et puis j’ai 22 ans, mais je ne suis pas Mbappé, je ne peux pas enchaîner autant de matches. J’étais un peu cuit…
Votre nouveau coach, Christian Eichner, est un ancien arrière gauche. Comme vous. Que vous a-t-il dit ?
On a beaucoup parlé lui et moi cette saison, parce que quand il était adjoint, c’était un peu lui qui était censé discuter avec ceux qui jouaient moins. Il m’a expliqué ce que je pouvais mieux faire. Et quand il m’a vraiment lancé, il m’a dit : « C’est ta chance, ne te mets pas trop de pression, je sais que tu ferais tout pour le club, que tu pourrais mourir pour le football, j’aime ça, continue. » Il est gravement émotif sur un terrain, ça fait plaisir à voir. Je ne vois pas comment le club pourrait ne pas le reconduire.
Le club va aussi devoir boucler ses fins de mois. La crise financière risque de le rattraper, non ?
Après le Covid-19, tout le monde a subi des pertes et on vient d’apprendre qu’on risquait de reprendre la prochaine saison sans spectateurs. Mais il était déjà important de finir celle-ci pour obtenir les droits télés du diffuseur. Nos dirigeants nous ont rassurés. La suite sera peut-être dure, mais je suis prêt à baisser mon salaire une deuxième fois si c’est nécessaire à la survie du club. Il y a des choses plus importantes et moi, j’ai la chance de vivre de ma passion.
Et vous aurez peut-être une chance d’affronter Laurent Jans la saison prochaine, avec Paderborn, si son club parvient à s’entendre avec Metz, qui ne serait plus si fermé sur le montant du transfert…
Il va rester? Oui? Ce serait bien. Babacar Gueye, notre nouvel attaquant, m’en parle. Il vient de Paderborn. Et il ne parle pas allemand non plus, d’ailleurs. Alors dans le vestiaire, je suis un peu responsable de lui (il rit) : on dit souvent que le football, c’est une langue universelle, mais c’est surtout vrai pour le terrain parce que quand on se retrouve dans le vestiaire, c’est plus facile quand tu as un traducteur.
Entretien avec Julien Mollereau