Alors qu’il veut miser désormais beaucoup plus sur son école de foot, Dudelange a vu Joël Rodrigues, l’un de ses grands espoirs, filer à Pétange la semaine dernière. Désespérant ?
Bizarrement, pour certains clubs, une petite phrase lâchée comme ça, par hasard, suffit amplement. Danel Sinani, désormais ex-patron de l’attaque dudelangeoise et grand pote du directeur sportif de Pétange, Yassine Benajiba, lui a dit un jour : «On a un petit jeune de 19 ans très impressionnant qui vient de monter en équipe 1.» Benajiba s’en était ému : l’attaquant international ne lui avait jamais lâché le moindre compliment marquant sur un espoir du club convié à se frotter au monde pro dans l’effectif du quadruple champion en titre.
Dans la foulée, Joël Rodrigues, puisque c’est de lui dont il s’agit, entre d’ailleurs à cinq reprises en BGL Ligue pour un petit total de 73 minutes. En cet hiver pré-coronavirus, le F91 compte pourtant quand même bien d’autres joueurs susceptibles de faire le boulot devant et des sélectionnables qui plus est (même si tous ne sont pas des n° 9) : Edvin Muratovic, Ricardo Couto Pinto, Ryan Klapp, Edis Agovic. Sans compter les non-sélectionnables : Keita, Mwila, Bertino, Mendy, Bettaieb, Lavie…
«Et encore, précise Bertrand Crasson, coach d’alors, Rodrigues allait encore à l’école et ne pouvait pas s’entraîner les matins avec le reste de l’équipe. Il a un gros potentiel.» Un club normalement constitué, en tout cas un club qui se serait déjà posé la question de l’après-Flavio Becca et de la redéfinition de la politique sportive, aurait peut-être dû penser à verrouiller le garçon. Pas le F91. Ou du moins, il n’a pas su ou pas pu s’en donner les moyens (par exemple avant que tout le monde ne le voie montrer d’énormes qualités à l’entraînement avec l’équipe première ou carrément en DN). Yassine Benajiba se jette sur l’opportunité. Trop tard pour Dudelange.
Fut un temps pas lointain du tout où voir cet effectif se délester de garçons formés au club comme Farid Ikene, Omar Natami, Almir Klica relevait de la pure logique sportive, même si c’était décevant. Mais l’été précisément où Romain Schumacher annonce une redéfinition forcée du concept et la mise en valeur d’un vivier de 400 jeunes grâce à l’intégration, enfin, de joueurs locaux dans le groupe désormais confié à Carlos Fangueiro, ça fait un peu désordre. «Je suis étonné d’apprendre qu’il est parti, oui», confirme Crasson.
Départ en masse
À l’été 2019, ce sont sept jeunes de l’école de foot qui ont quitté Dudelange pour se diriger vers des clubs de DN ou de PH, aller chercher le temps de jeu chez les seniors que personne ne pouvait leur garantir au stade Jos-Nosbaum. Le corollaire qui conforte quand même le F91 : aucun ne s’est imposé ailleurs. Et il n’est pas dit que les plus intéressants des joueurs partis accumuler ailleurs de l’expérience (Klica, Natami et Ikene donc…) auraient une chance de s’imposer dans le Dudelange version 2020/2021 que le nouveau directeur sportif, Manou Goergen, est en train de concocter.
«Joël Rodrigues, on aurait bien aimé le garder, admet Goergen. Mais si nos joueurs les plus intéressants n’ont pas envie de suivre le projet qu’on leur met sur la table, avec les contraintes financières que nous nous imposons, on ne les bloquera pas. On ne veut conserver que ceux qui sont motivés à 100 %.» Question : après 20 années à se former dans un club sans débouché pour eux, les générations successives de jeunes Dudelangeois n’auraient-elles pas inconsciemment intégré qu’il n’y a tout simplement pas de place pour elles dans la vitrine du club? Ne leur faut-il pas réapprendre à se dire qu’ils peuvent jouer en DN avec un maillot rouge et jaune sur les épaules? «On ne pourra de toute façon jamais intégrer tout le monde, poursuit Manou Goergen. Mais les clubs qui venaient prendre nos jeunes vont de toute façon aussi devoir comprendre qu’on ne les laissera plus partir aussi facilement. Oui, on va bien changer la philosophie de Dudelange !»
Le départ de Rodrigues ne serait juste qu’un mauvais signal au mauvais moment, alors? Peut-être. Ou c’est la preuve que le F91 (qui reconnaît que le dialogue avec l’attaquant et son agent était difficile) va devoir commencer à apprendre à proposer des contrats un peu plus tôt à ses propres jeunes. C’est aussi l’avis de Ronny Bonvini, qui a laissé sa place à la formation à son frère, Arno (ex-coach de Mondorf). «On a de très bons jeunes dans les générations 2002, 2003 et 2004. Dire qu’on veut compter sur la formation, c’est bien beau, mais maintenant, tout le pays sait qu’on fait du bon boulot. Et des agents viennent directement contacter les petits Dudelangeois pour les vendre à d’autres clubs du pays. Rodrigues, ils lui proposaient le triple de ce qu’on pouvait lui offrir à Dudelange alors forcément… Le club va vraiment devoir trouver une formule pour garder tous ces joueurs au club.» L’ancien bras droit de Guy Hellers admet aussi que la politique de prêts de tous ces garçons, mise en place depuis cinq ans afin de contourner la difficulté d’intégrer un effectif aussi riche et de les envoyer s’aguerrir ailleurs «a échoué». Il va bien falloir se résoudre, un jour, à leur donner la chance à la maison. Mais pour Joël Rodrigues, c’est raté.
Julien Mollereau
Très bon