Comment vit et se projette un centre culturel à la programmation composite, et pour tout public, depuis la crise sanitaire? C’est ce que Le Quotidien a demandé à Steph Meyers, directeur des Rotondes.
Fermées depuis début mars, les Rotondes, situées à Bonnevoie, s’agitent de nouveau, enfin tout doucement, comme lorsque l’on sort d’une longue maladie. On est en effet loin du fourmillement habituel, le centre culturel s’étant transformé en site de distribution de masques chirurgicaux, tandis que sa terrasse vient seulement d’ouvrir. Sur son site, le message est clair : avant le 31 juillet, toutes ses activités (théâtre, musique, exposition…) sont en pause. Un crève-cœur pour son directeur, Steph Meyers, qui espère des jours meilleurs. Entretien.
Comment avez-vous vécu le coup d’arrêt porté début mars par la pandémie de coronavirus?
Steph Meyers : Comme tout le monde, avec une certaine violence. Le choc est arrivé rapidement, même si on a été prévenus, notamment lors d’une réunion au ministère de la Culture, de l’urgence de la situation. Tout cela devenait concret, et trois jours après, on fermait nos portes. À partir de là, il fallait se réinventer, à tous les niveaux : dans sa programmation, ses outils de travail, sa façon de communiquer… tout en essayant d’être proactif et positif. Mais ça n’avait rien d’une évidence : on avançait dans le brouillard, et progressivement, il a fallu annuler tous les contrats que l’on avait avec les compagnies théâtrales et les artistes.
Une expérience artistique doit se faire en public. C’est une affaire de partage, de sensation, de discussion, de fête, d’esprit critique aussi
Le numérique s’est alors imposé, durant le confinement, comme une relative bouée de sauvetage. Qu’en avez-vous pensé?
Je pense que l’on a bien fait de proposer une programmation en ligne, surtout face à un confinement qui a obligé les gens à rester chez eux. Se rafraîchir la tête, regarder dans une autre direction, garder le moral… la culture sert aussi à cela! Dans une telle urgence, oui, c’était la bonne réponse, et d’ailleurs, certaines de nos initiatives le prouvent (NDLR : comme « Moolt ons een… »). Après, cette orientation ne doit pas se suffire à elle-même. Une expérience artistique doit se faire en public, c’est une affaire de partage, de sensation, de discussion, de fête, d’esprit critique aussi. C’est quelque chose de primordial et une condition sine qua non de notre fonctionnement.
Aujourd’hui, ce vivre ensemble, aux Rotondes, se fait à travers la terrasse, rouverte la semaine dernière, et la distribution de masques. Mais toujours pas de culture. Une étrange mutation, non?
J’ai un côté démagogue : je me suis dit que si la culture disparaissait, je pourrais me rattacher au ministère de la Santé et, qui sait, reconvertir les Rotondes en un lieu sanitaire (il rit). Blague à part, dès lors que le site n’est pas utilisé pour nos évènements, je n’ai aucun problème avec le fait que les gens viennent chercher leurs masques, bien au contraire : on a même désormais un centre de dépistage! Participer à notre humble niveau à la cause nationale, c’est également notre rôle.
Le 23 avril dernier, avec d’autres homologues (TNL, Philharmonie, Neimënster…), vous avez envoyé une lettre à la ministre de la Culture, Sam Tanson, pour mettre en lumière « les défis que le secteur culturel est appelé à rencontrer dans les mois à venir ». Était-ce un élan collectif angoissé?
Non, ce n’était pas sur le ton de l’angoisse, ni l’idée que le gouvernement allait prendre de mauvaises mesures. C’était plutôt un acte de présence, à travers une parole bienveillante qui, pour résumer, disait : « On est conscients que la suite va être compliquée et, dans ce sens, toutes les forces vives du milieu cultuel se tiennent à disposition pour pouvoir surmonter les dégâts, et avancer ensemble ». Si cela avait été quelque chose d’intéressé, on l’aurait fait plus tard.
Que pensez-vous, aujourd’hui, de l’évolution de la situation?
Sans entrer dans les détails, on sait que la situation reste compliquée, malgré l’assouplissement des mesures sanitaires. Si aujourd’hui, on voit des gens en terrasse, prendre l’apéritif comme si de rien n’était, on sait que tout n’est pas réglé. Et c’est sur cette base que l’on doit, comme d’autres centres culturels, préparer notre prochaine saison. Comment alors rétablir les abonnements? Est-ce que l’on pourra faire venir les scolaires? Est-ce que l’on pourra fonctionner avec des salles à moitié vide? En l’état, personne ne peut proposer quelque chose de définitif. On ne peut plus travailler normalement. Le seul moyen de continuer, c’est de rester au maximum flexible et réactif… Mais cet attentisme imposé par l’évolution du virus reste quelque chose de difficile à vivre.
En somme, vous dites qu’il est aujourd’hui impossible de se projeter…
Prenons un exemple concert : auprès des artistes, une institution culturelle s’engage contractuellement. À la mi-mars, on pouvait invoquer le cas de force majeur pour annuler les spectacles et concerts. Aujourd’hui, ce n’est plus possible! On signe alors des contrats, pour la prochaine saison, avec le risque de ne pas pouvoir les honorer. Désormais, je ne suis plus spécialiste en culture, mais en dossier juridique! Ces trois dernières semaines, je les ai en effet passées à mettre en place des clauses et avenants dans nos contrats pour nous défendre en cas de litige… Oui, c’est compliqué. Idem si l’on envisage de débloquer des ressources financières et humaines conséquentes, avec de l’argent public, pour une proposition qui va plaire aux 30 personnes dans la salle, alors que d’habitude il y en aurait dix fois plus.
Est-ce cette avancée à tâtons, à l’aveugle, qui est finalement la plus ardue à gérer?
Oui, sans aucun doute. Habituellement, notre prochaine saison, on l’annonce à la mi-juin, soit dans deux semaines. Là, on en est loin, mais on doit quand même signer nos contrats avec les artistes, se projeter, constituer une programmation… Alors on se lance. Disons que c’est un risque à courir… Mais il y a encore moins bien loti : la Rockhal, par exemple. Comment une salle de concert peut-elle aujourd’hui accepter des contrats que lui proposent des agents de musiciens, avec, souvent, des sommes importantes en jeu, sans avoir la garantie de pouvoir les respecter? C’est tout bonnement impossible.
Votre site annonce une reprise d’activité pour le 31 juillet. Devant le décloisonnement actuel, regrettez-vous de ne pas proposer quelque chose, même anecdotique, dès maintenant?
Peut-être que l’on aurait pu reprendre dans d’autres conditions, mais c’est une possibilité qui appartient à chacun. Déjà, l’évolution est sensible : pendant un temps, on était plus une équipe d’annulation que de programmation (il rit). Maintenant, je préfère être encore patient, avoir un regard neutre, lointain, pour mieux tirer les leçons de cette crise. Bien sûr, l’urgence a aussi du bon, développe un côté créatif. C’est d’ailleurs dans cette forme de réaction que l’on prépare les Congés annulés.
Bref, vivement l’été…
Je me vois passer le mois d’août sur la terrasse des Rotondes, revoir du monde avec un verre à la main et me dire que j’ai un semblant d’été normal. Et dans ce sens, si je dois rester au Luxembourg, tant mieux!
Entretien avec Grégory Cimatti
Les Congés annulés résistent au Covid-19!
Alors que la plupart des festivals estivaux, gros comme petits, sont annulés, ou ont trouvé une parade numérique – avouons-le, peu convaincante –, celui des Rotondes ne rend pas les armes aussi facilement. «C’est important d’être présent, autant pour les artistes que pour le public», clame Marc Hauser, programmateur des lieux, avant de lâcher, définitif : «On a envie et besoin de musique!» Ainsi, les Congés annulés auront bien lieu, tout le mois d’août même, dans une version évidemment particulière.
D’abord, il n’y aura pas de groupes internationaux à l’affiche, sauf peut-être un ou deux venant de Bruxelles. Point de Squid, donc, ni d’Andy Shauf, mais d’autres noms bien connus de la scène grand-ducale (Napoleon Gold, Sun Glitters, Autumn Sweater, Bartleby Delicate, Mutiny on the Bounty…).
Une vingtaine de groupes, «essentiellement luxembourgeois», se succéderont ainsi du mercredi au samedi, et jusqu’à 22 h, sous une «grande tente» située à l’extérieur. Et le dimanche sera réservé à la projection de documentaires musicaux. «Une version allégée et gratuite», précise Marc Hauser, qui n’oubliera pas les traditionnels DJ sets sur le parvis, pour des apéritifs que l’on espère décontractés, malgré les angoisses sanitaires.
D’ailleurs, dans ce sens, tous les concerts proposés seront assis, avec 4 personnes par palette (les habitués des lieux comprendront), séparées entre elles de deux mètres, pour une jauge maximale estimée entre 60 et 80 personnes. Il faudra donc se retenir pour ne pas enflammer la piste. Quoique… «Toutes les deux-trois semaines, on compose avec un allègement des consignes et des restrictions. On verra d’ici deux mois», conclut-il, optimiste. À noter que la programmation sera dévoilée, en détail, à la mi-juin.
Rotondes – Luxembourg. Du 1er au 23 août. Gratuit.