Considérés comme des travailleurs essentiels pendant la crise, les salariés des sociétés de gardiennage se sentent oubliés. Ils ont organisé vendredi un piquet de protestation devant les locaux de la FEDIL à Luxembourg.
C’est en comité restreint (afin de respecter les consignes sanitaires) mais foncièrement déterminés, que des salariés des sociétés de sécurité et de gardiennage ainsi que leurs représentants syndicaux sont venus manifester leur colère devant les locaux de la Fédération des industriels luxembourgeois.
Au cœur de leurs revendications, l’octroi d’une «prime nette de 300 euros par mois en guise de reconnaissance des efforts extraordinaires fournis par les agents. Ils étaient sur place, souvent mal équipés, et ont fait de nombreuses heures», résume Régis Simoneschi, président de la Délégation Brink’s, l’une des plus importantes sociétés de gardiennage et de surveillance du pays, et première délégation a avoir dénoncé les abus patronaux dans le contexte de la crise. Une pétition visant à soutenir cette revendication a même été lancée ce mois-ci afin d’obtenir un débat à la Chambre (pétition n°1589).
« Un tel manque de considération ! »
Car selon les principaux concernés, les employeurs ont jusqu’ici préféré faire la sourde oreille : «Le département dédié aux services de sécurité de la FEDIL et les entreprises elles-mêmes ont été contactés. La plupart n’ont même pas daigné nous répondre. C’est un tel manque de considération ! Le comble de l’indécence !», ne décolère pas Michelle Cloos, secrétaire centrale de l’OGBL et représentante du secteur du gardiennage, qui compte plus de 4 000 salariés au Luxembourg. «On ne voit qu’une ou deux personnes dans la direction, ils se sont barricadés», déplore de son côté Vito Leoci, vice-président de la Délégation Brink’s.
Définis par le gouvernement comme des travailleurs «essentiels» au début de l’épidémie, statut qui accordait de fait aux employeurs l’autorisation d’augmenter la durée de travail de leurs employés, les agents de sécurité ont vu dans certaines sociétés leur temps de travail passer à douze heures par jour et 60 heures par semaine, sans que celles-ci soient nécessairement considérées comme des heures supplémentaires, puisqu’elles pourront être «lissées» sur l’ensemble de l’année.
Obligés de travailler malgré l’absence de masques et de gants de protection (ou avec un même masque pendant plus d’une semaine) les premiers temps de l’épidémie, y compris dans des zones «à risques» comme les urgences des hôpitaux, les agents de sécurité ont eu «le sentiment d’être envoyés au front, sans matériel», avant d’être complètement oubliés.
Revalorisation complète
«Les salariés du gardiennage et de la sécurité privée font vraiment partie des grands oubliés de la crise du coronavirus. Ils sont allés travailler dans des conditions particulièrement difficiles, souvent la peur au ventre parce que cela a été compliqué d’obtenir le matériel adéquat», dénonce Michelle Cloos. «Aujourd’hui encore, ils sont partout y compris sur des sites sensibles : devant les magasins, aux gares, au Findel, dans les institutions européennes, les universités, les banques, les centres de réfugiés, à la Wanteraktioun, sur les chantiers… Et pourtant, ils sont invisibles. Avec la crise, se sont rajoutées des responsabilités supplémentaires : prise de température, imposition du respect des distanciations sociales et du port du masque, nécessité de calmer les peurs des gens et les conflits liés au contexte… Ils sont effectivement essentiels : sans eux, la société ne pourrait pas fonctionner correctement, et encore moins en temps de crise».
Ce piquet de protestation, rarissime dans ce secteur où les salariés, pour la plupart frontaliers, sont difficilement mobilisables du fait de leurs contraintes horaires, témoigne du malaise plus profond que traverse cette profession. Au-delà de la prime exigée liée au contexte de la pandémie, c’est une revalorisation complète de leur métier que réclament ces salariés, dont les conditions de travail sont souvent harassantes, comme le rappelle Michelle Cloos : «Ils travaillent dehors par tous les temps, ou cachés dans une pièce attenante, seuls, debout pendant des heures, en travail posté, jour et nuit, à des horaires irréguliers, sur différents sites, avec une flexibilité maximale qui rend difficile voire impossible l’organisation de la vie privée.»
«On n’abandonnera pas !»
«On change régulièrement de site, on peut être envoyé tous les jours dans un endroit différent, et ce, dans tout le pays. On se bat donc aussi pour avoir des postes relativement fixes», confirme Jonathan, délégué syndical et lui-même agent de sécurité.
Vito Leoci, résident luxembourgeois et agent de sécurité depuis plus de trente ans, n’hésite pas à sortir sa fiche de paie : entré dans la société Brinks en 1987, à quelques années de la pension, il perçoit un salaire brut de quelque 2 800 euros, soit un peu plus de 2 400 euros nets. «Après 33 ans de service !», maugrée-t-il, avant d’ajouter, non sans inquiétude : «Je serai bientôt pensionné. J’envisage une activité à mi-temps pour compléter ma retraite, afin d’être en mesure de boucler les fins de mois et pouvoir continuer à vivre au Luxembourg. On est les plus grands sacrifiés depuis des années !».
Autre revendication portée par l’OGBL : la professionnalisation du métier. Si le syndicat s’attend à une réponse du gouvernement sur ce sujet, ayant déjà eu des contacts avec certains ministères, il reste sur le qui-vive concernant la revalorisation des carrières par les entreprises. «On va voir comment vont évoluer les choses, mais on n’abandonnera pas !», a assuré Michelle Cloos.
Tatiana Salvan