La playlist Schlofzëmmerbléck, initiée par la radio 100,7 et dont le lancement a eu lieu le 6 mai, dresse un état des lieux des nouvelles scènes musicales luxembourgeoises. Plutôt rock, pop ou electro, treize musiciens se sont prêtés au jeu de la composition d’un morceau inédit sur le thème du confinement.
Treize artistes confinés sortent, à l’initiative de la radio 100,7, un morceau inédit chacun, réalisé entre quatre murs. Rien qui sente le renfermé pour autant : mis bout à bout, tous les musiciens participant au projet forment un portrait éclectique de la scène musicale luxembourgeoise actuelle.
Trois fois par semaine (le lundi, le mercredi et le vendredi), la radio 100,7 diffuse un nouveau titre, rendu ensuite disponible à l’écoute sur son site – accompagné d’un texte explicatif dans lequel l’artiste revient sur la composition de son morceau – et sur sa page SoundCloud.
Depuis le 6 mai, et jusqu’à aujourd’hui, dix morceaux sont à découvrir. On peut d’ores et déjà se plonger dans ces différentes interprétations musicales du confinement, tantôt mélancoliques, tantôt tournées vers la lumière et l’ouverture, et qui couvrent déjà tant de genres musicaux. De l’electro-funk de Napoleon Gold à la pop-folk planante de C’est Karma, la playlist Schlofzëmmerbléck, faite sur mesure par la radio luxembourgeoise, n’a pas encore terminé sa diffusion, mais elle regorge déjà de petites pépites.
Parmi elles, le sentiment de contradiction entre enfermement et extérieur envahissant les sept minutes de l’expérimental Subsol, par le DJ belge Sensu, ou l’exaltante saveur «late sixties» de Half of March par Autumn Sweater, qui rappelle The Byrds ou Shuggie Otis. Le chanteur d’Autumn Sweater, Philippe Demart, qui a écrit Half of March, raconte la genèse du titre en précisant que «chacun était totalement libre de mettre sur ce morceau ce qu’il voulait, ce qui l’inspirait».
Au début du confinement, on était submergés de scénarios catastrophiques. Plutôt que d’écrire sur cela, on a choisi de mettre la lumière sur le positif de cette situation (Philippe Demart, Autumn Sweater.)
Si la composition de leurs morceaux se fait habituellement à trois, le confinement les a obligés à se livrer à une sorte de cadavre exquis en utilisant, comme base, la composition de Philippe : «J’ai envoyé la première maquette à mon frère, Christophe, qui a ajouté le chant sur le deuxième couplet et la batterie. À son tour, il a envoyé le morceau au bassiste puis au guitariste, qui a chanté la troisième partie.» «Chacun a adapté la mélodie et le chant à sa manière et le résultat est assez étonnant, on ne s’y attendait pas vraiment. Ce que chacun allait faire du morceau, c’était un peu une surprise», ajoute le chanteur.
Pour Napoleon Gold, au contraire, «le processus (de composition) est resté presque le même qu’en temps normal». «Dans un premier temps, j’aime bien explorer, me mettre dans mon studio, faire de la musique sans me forcer ni me fixer des objectifs, et au bout d’un moment ça finit par venir. Quand le morceau est là, on le sent.» Room 224 est arrivé lorsque le musicien, qui aime se confiner dans son studio, a simplement tenté de «retranscrire l’ambiance» du confinement tel qu’il l’a vécu.
Une ode au «chill», reconnaît Napoleon Gold, qui, amusé, voit dans le confinement l’occasion de faire sortir son Oblomov intérieur en traînant en robe de chambre à toute heure et en n’allant jamais plus loin que du canapé au lit. «Il y a beaucoup de gens qui ont peur de s’ennuyer ou de se retrouver face à eux-mêmes, moi je trouve que c’est l’occasion de flâner, je trouve ça génial», ajoute-t-il, avant de rendre compte d’une réalité certaine : «Ça ne sert à rien de se rendre malade pour quelque chose qu’on ne peut pas maîtriser, alors il faut en tirer le meilleur.»
Il y a beaucoup de gens qui ont peur de s’ennuyer ou de se retrouver face à eux-mêmes, moi je trouve que c’est l’occasion de flâner (Napoleon Gold.)
Philippe Demart fait d’ailleurs écho aux dires de Napoleon Gold. Half of March est de ces envolées lumineuses qui s’ouvrent vers la tendresse dans une période difficile, et le chanteur d’Autumn Sweater abonde sur ce choix délibéré : «Au début du confinement, on était un peu submergés de scénarios allant du très catastrophique à l’un peu moins catastrophique. Alors plutôt que d’écrire sur cela, on a choisi de mettre la lumière sur le positif de toute cette situation. Mon échappatoire, c’était d’être chez moi avec ma femme, d’avoir pris le temps pour des choses très basiques pour lesquelles on ne prend plus le temps au quotidien, et qui ont eu un impact positif pour nous.»
Le sublime titre Post, à l’instrumentation minimaliste sur laquelle se pose la voix envoûtante de C’est Karma, a été pour la jeune musicienne un effort remarquable, qui cache «un processus assez lourd» de composition et qui marque «une de (s)es premières expériences de produire une chanson toute seule sans aller en studio ni avoir de l’assistance au niveau technique».
C’est Karma : «Au début, j’étais très frustrée et j’avais du mal à commencer parce que je ne me sentais pas dans l’ambiance de faire de la musique. Normalement, je m’inspire beaucoup des gens que je rencontre quand je sors, mes copains, tout ça me manquait. Puis j’ai remarqué un truc, cette factrice qui venait tous les jours.» En apportant le courrier dans sa rue, celle-ci a tapé dans l’œil de Karma comme un symbole. Ainsi, Post, c’est le souvenir du dehors, de cet extérieur qui manque.
Excellente initiative à découvrir dès à présent pour s’offrir un aperçu assez complet de l’éventail de talents musicaux qui se niche au Grand-Duché, le projet Schlofzëmmerbléck est soutenu par l’Action culturelle de la Sacem Luxembourg. Quant aux trois titres qu’il reste encore à découvrir, ils seront diffusés au cours de la prochaine semaine, avant que l’intégralité des treize morceaux soient compilés dans un album dont la sortie est prévue pour mi-juin.
Valentin Maniglia