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Theater Federatioun : «sans adaptation des normes, les réouvertures sont illusoires»


Le problème de la distanciation sociale des acteurs est l'un des enjeux forts évoqués par la Theater Federatioun (Photo d'archives : Editpress).

La vie reprend son cours au Grand-Duché, avec la réouverture symbolique des terrasses mercredi. Du côté du spectacle vivant, malgré les annonces du gouvernement, on ne voit pas le bout du tunnel. L’enjeu clef  ? Permettre une réouverture qui ait du sens, par rapport à l’essence même du théâtre, comme nous l’explique Jérôme Konen, membre du comité de la Theater Federatioun.

Avec les annonces du Premier ministre lundi, le monde du spectacle vivant entrevoit la fin du tunnel…
Nous voyons la sortie de la crise, mais le tunnel semble encore long. Les annonces du gouvernement posent un premier cadre : il nous manque encore beaucoup de détails. Il faut attendre le règlement grand-ducal, notamment sur deux précisions cruciales pour nous : les jauges de spectateurs et la distanciation sociale dans la pratique du jeu d’acteur. Sans une adaptation de ces paramètres, que ce soit pour le théâtre ou pour la danse… toute « réouverture » est assez illusoire.

Théoriquement, nous avons cru comprendre que les théâtres pourraient rouvrir dès vendredi non ?
S’il suffisait de presser sur un bouton on / off, on le ferait. La réalité est évidemment plus complexe. Une programmation culturelle se prépare un ou deux ans à l’avance. De nombreuses créations sont suspendues aux paramètres de jeu qui seront proposés. Des petits théâtres ne vont avoir dans l’immédiat aucun intérêt financier à rouvrir. Si nous partons sur les bases des annonces de lundi, un théâtre comme le Centaure va proposer six fauteuils pour chaque représentation… nous ne sommes pas dans des secteurs mercantiles, mais nous ne pouvons pas jouer à ce point-là à perte.

Assister à une représentation théâtrale est beaucoup plus statique que manger au restaurant

Concrètement, quels sont les paramètres retenus pour le moment ?
Pour les acteurs, un choix s’imposerait entre un jeu à deux mètres de distance ou le port d’un masque. Pour les spectateurs, deux mètres de distance à 360 degrés devraient être laissés entre chaque fauteuil, et la possibilité d’aller au théâtre ensemble sans dépasser deux individus du même foyer. Nous avons quelques interrogations. La restauration, par exemple, bénéficie de la possibilité de dresser des tables pour quatre convives, voire six du même foyer. La distance de sécurité est de 1,5 mètre. Pourtant, assister à une représentation théâtrale est beaucoup plus statique que manger au restaurant : on regarde devant, on n’est pas dans le va-et-vient d’une salle.
Nous sommes attachés aux normes de sécurité après une telle crise. Nous voulons proposer des programmes en toute sécurité. Nous serons capables de nous adapter, mais il faut que le théâtre reste le théâtre, dans son essence…

Le spectacle vivant cadre mal avec un rapport hygiénique à la vie. On va au théâtre pour entendre de la colère ou du rire, vivre un moment suspendu à l’émotion d’un regard, ressentir le travail des artistes et de leur corps. Le risque d’une réouverture sans âme est important.
Nous devons nous adapter. Cette crise transforme la société. Le théâtre est le miroir de la société, de tout temps. Avez-vous fait l’expérience de regarder un film récent, sorti juste avant la crise, où des individus se tombent dans les bras ? Ça paraît d’un autre temps ! Le théâtre ne peut pas se couper de la société. Le monde de la création va proposer des pièces très intéressantes, il y a beaucoup de nouveaux thèmes à explorer, nous y sommes prêts. Il faut en revanche rendre possible le théâtre de demain.

Nous vivons un moment de solidarité

Avez-vous des craintes pour les petits théâtres de la fédération ?
Nous vivons un moment de solidarité. Au sein même de la fédération, il faut que les petites structures, qui jouent souvent un rôle important dans la création, puissent présenter leurs projets. Des partenariats sont en train d’émerger avec les plus grosses salles. La création francophone au Luxembourg, par exemple, repose beaucoup sur le Centaure et le TOL.

On a vu un élan populaire autour de la réouverture des terrasses. Le spectacle vivant fait aussi partie de ces grands bols d’air de la vie ! Y a-t-il une communication nouvelle à envisager après la crise, un public à conquérir, ou à reconquérir ?
L’absence a créé de l’envie. Beaucoup de spectateurs, y compris ceux qui finissaient par venir au théâtre presque mécaniquement, ont compris que c’était un aspect important de leur vie sociale. L’un des enjeux va être de recréer un lien de confiance par rapport aux craintes sanitaires. Il faut organiser notre reprise en pouvant dire : « Venez chez nous, échappez-vous, profitez… on s’occupe de tout. »

Et pour le nouveau public ?
Qu’avons-nous fait pendant ce confinement ? Le goût de la lecture a compté pour beaucoup de gens. Netflix a explosé ses records d’abonnés, tout comme les applications de streaming musical. Il y a eu une envie de culture. Il faut la prolonger : le spectacle vivant en fait partie et apporte une nouvelle dimension.

Entretien avec Hubert Gamelon