Les milliards d’euros d’épargne accumulés par certains ménages européens durant le confinement constituent une manne potentiellement précieuse pour aider l’économie à surmonter la crise sanitaire, à condition toutefois que les épargnants se montrent disposés à consommer ou investir davantage.
Avec la fermeture des commerces, des restaurants, des crèches ou encore l’annulation de vacances dans de nombreux pays, beaucoup de consommateurs européens n’ont souvent pas eu d’autre choix que de garnir leurs bas de laine durant la période du confinement. Certains ménages ont certes été frappés par des baisses de revenus, notamment ceux concernés par les mesures de chômage partiel voire de chômage total. Mais de façon générale, la consommation des ménages « a baissé davantage que leur revenu durant ces deux mois. Il y a eu une épargne forcée qui s’est accumulée », a récemment expliqué François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France.
À cette épargne forcée s’est ajoutée une autre épargne, volontaire celle-ci, placée en réserve par certains ménages inquiets. « La question prioritaire du côté des ménages, c’est donc la confiance pour qu’ils transforment rapidement cette épargne accumulée en consommation et donc en croissance », a souligné Villeroy de Galhau, chiffrant à quelque 60 milliards d’euros le surplus d’épargne accumulé en France pendant la durée du confinement. En Allemagne, « un taux d’épargne passant à 15% au second trimestre ne me semble pas irréaliste », affirme à Jörg Kramer, chef économiste de la banque Commerzbank. Ce qui représenterait selon ses calculs 30 milliards d’euros de plus économisés par rapport au dernier trimestre 2019, durant lequel le taux d’épargne voisinait 11%.
1.300 milliards d’euros au deuxième trimestre
À l’échelle de l’Union européenne, l’assureur allemand Allianz estime que le surplus d’épargne provoqué par le confinement pourrait atteindre le montant colossal de 1.300 milliards d’euros au deuxième trimestre. Consommée ou investie, une telle manne serait de nature à apporter un puissant coup de pouce à la reprise économique ces prochains mois. La consommation risque toutefois « de ne pas retrouver son niveau d’antan avant un bon moment », affirme Thomas Pugh, analyste au sein du cabinet londonien Capital Economics.
« Beaucoup de personnes ont subi des baisses de salaire, conjuguées au fait que le chômage a progressé et va rester élevé longtemps, ce qui va freiner l’évolution globale des revenus », explique-t-il. En outre, « à court terme, nous allons probablement assister à une hausse des dépenses, les gens rattrapant toutes les choses qu’ils n’ont pas pu acheter ces derniers mois, mais sur le long terme, nous pensons qu’une hausse de l’épargne va peser sur la consommation », ajoute cet analyste.
« Une grande majorité de personnes mettront du temps à retrouver leurs habitudes de consommation parce qu’elles ont peur », indique aussi Jordi Fabregat, professeur d’économie et de finance à l’école de commerce Esade en Espagne. Et les gens qui le peuvent vont « économiser au cas où », surtout s’ils sont convaincus d’être « à nouveau confinés l’hiver prochain », estime M. Fabregat.
Investir l’épargne en actions?
Il ne faut « pas en conclure que cette épargne est inutile », tempère Olivier Garnier, directeur général en charge des études et des relations internationales à la Banque de France. Selon lui, « l’épargne des ménages vient financer, sous la forme de dépôts bancaires, l’endettement des entreprises et participe à maintenir des conditions de crédit favorables ». Idéalement une partie de cette épargne pourrait s’investir en actions et ainsi venir renforcer la solidité financière des entreprises.
Sauf que « les comportements d’épargne, ce n’est pas quelque chose qui se change en quelques mois. Aux États-Unis, via notamment les fonds de pension, il y a une culture action et marchés qui n’est pas la même qu’en Europe », souligne Garnier. Dans ces conditions, mieux vaut ne pas trop attendre de l’épargne pour relancer l’économie. « Il n’y a pas de solution miracle », souligne Nicolas Véron, chercheur au sein des instituts Bruegel et Peterson.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de raison de penser que les bénéficiaires de ce surplus d’épargne vont avoir envie de le dépenser et de prendre des risques avec », explique ce chercheur. « Dans tous les pays du monde, la confiance dépend avant tout de la progression du virus. Le premier paramètre est sanitaire », juge-t-il.
LQ / AFP