Après les contrôles et les verbalisations de la police, c’est au tour de la justice de sévir. Les premiers procès doivent se tenir dès cette semaine, nous a fait savoir le procureur d’État Georges Oswald.
On aura beaucoup entendu parler des contrôles de police sur le terrain ces sept dernières semaines. Avec l’état de crise et les mesures de limitation de déplacements et des activités commerciales pour endiguer la propagation du Covid-19, de nouvelles infractions ont vu le jour au Grand-Duché. Entre la mi-mars et vendredi dernier ce sont ainsi 2 000 avertissements taxés qui ont été émis, mais aussi quelque 80 procès-verbaux qui ont été dressés.
À partir du moment où le contrevenant s’acquitte des 145 euros de son avertissement taxé, l’action publique à son encontre est éteinte. Mais il arrive aussi qu’une contravention soit contestée. À ce moment-là, la police rédige un procès-verbal qui est transmis au parquet. Au parquet, alors, de décider des suites à donner.
Aujourd’hui, un certain nombre de dossiers se trouvent donc entre les mains de la justice. Il s’agit d’un processus en cours. Jusqu’à jeudi matin, le parquet de Luxembourg avait récolté huit procès-verbaux (PV) de la police tombant sous la compétence du tribunal de police de Luxembourg. «Deux ont été classés ad acta, car pour nous ce n’était pas opportun ou parce que la contravention n’était pas donnée. Deux récents dossiers se trouvent encore chez le substitut pour décision. Et quatre affaires ont été citées à l’audience», nous détaille le procureur d’État Georges Oswald.
«Évacuer prioritairement pour donner un signal»
Du côté des affaires qui tombent sous la compétence du tribunal de police d’Esch, ce sont 15 procès-verbaux qui sont entrés au parquet. Là, cinq affaires sont citées à l’audience, trois ont été classées ad acta, sept sont en attente de décision. À Diekirch, on a réceptionné 22 procès-verbaux. Et cinq citations sont d’ores et déjà prêtes pour l’audience.
Comme nous l’a fait savoir le procureur d’État de Luxembourg, Georges Oswald, le premier procès devant le tribunal de police est fixé à la semaine du 11 mai. «On veut évacuer ces affaires prioritairement pour avoir une sécurité juridique sur la légalité de toute cette problématique, mais aussi pour donner un signal.» Ces affaires viendront s’ajouter aux audiences déjà bien engorgées. «Mais du côté des juges de police on est disposé, si besoin, de fixer davantage d’audiences afin d’évacuer ces nouveaux contentieux», poursuit le procureur.
Il n’y a pas que les procès-verbaux qui atterrissent au parquet. Un contrevenant a jusqu’à 30 jours pour verser l’amende. S’il ne paie pas la somme due, cette information atterrit sur le bureau du procureur d’État de Luxembourg ou de Diekirch. Et on passe à l’amende forfaitaire. «Son montant est le double de l’avertissement taxé, on parle donc de 290 euros», explique Georges Oswald. Et d’illustrer : «J’en ai signé une cinquantaine mercredi.»
À nouveau, le contrevenant dispose d’un délai de 30 jours pour faire une réclamation écrite. «Soit le parquet l’accepte et l’affaire est donc classée, soit il peut convoquer le demandeur devant le tribunal de police et le juge tranchera», explique le procureur. Au cas où aucune réclamation n’est introduite, la décision d’amende forfaitaire du procureur d’État vaut titre exécutoire. C’est alors l’administration de l’Enregistrement qui, par tous les moyens utiles, s’occupe d’encaisser l’argent. Cela peut se faire, par exemple, par une saisie sur le revenu. «C’est le même principe que pour les autres amendes pénales», note notre interlocuteur.
Le parquet a reçu la première liste des avertissements taxés non réglés les 20 et 21 avril, soit un mois après l’entrée en vigueur du texte. Depuis, la liste ne cesse de s’allonger. En date du 6 mai, ce sont un total de 266 qui ont été reçus de la police (212 à Luxembourg et 54 à Diekirch) et 23 de la douane (13 à Luxembourg et 10 à Diekirch).
La sanction : jusqu’à 500 euros d’amende
Si les deux procureurs ont déjà signé un bon nombre d’amendes forfaitaires, à l’heure actuelle le délai des 30 jours n’est pas encore écoulé. Il faudra attendre le courant du mois de mai, pour connaître les suites. «Pour l’instant, on n’a reçu aucune réclamation pour une amende forfaitaire», note Georges Oswald. «Mais seulement deux ont été payées au parquet de Luxembourg», ajoute-il. À noter que le volet pénal se limite aux personnes physiques privées. Pour les sanctions à l’égard d’entreprises commerciales et artisanales, le législateur parle d’une amende administrative d’un montant maximum de 4 000 euros (8 000 euros en cas de récidive). Un éventuel recours se jouera devant le tribunal administratif.
En France, certains avocats ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité pour contester le délit du non-respect du confinement. À la connaissance du procureur de Luxembourg, aucun recours n’a été introduit au Grand-Duché. Mais il peut s’imaginer que cela ne va pas tarder. «La procédure n’est en effet pas la même qu’en France. Ici, on introduit une question préjudicielle dans le cadre d’un procès. Le juge peut ensuite saisir la Cour constitutionnelle.»
Le dernier mot aux juges
Il n’empêche que l’actuelle base légale a déjà fait l’objet de neuf adaptations. Dans une première phase, il y a eu un arrêté ministériel qui renvoyait à la loi du 25 mars 1885 «concernant les mesures à prendre pour parer à l’invasion et à la propagation des maladies contagieuses». Ce texte prévoyait jusqu’à deux ans de prison et une amende. «On parlait d’infractions de nature délictuelle. Mais avec le règlement grand-ducal du 18 mars 2020 qui a succédé, une nouvelle base légale a vu le jour prévoyant des peines plus douces.» Dans la version actuelle du texte, une amende contraventionnelle de 25 à 500 euros peut être prononcée. «Ce qui signifie que les peines de 1885 ne sont plus applicables. Cela sera aussi le cas pour les faits perpétrés entre le 16 et 18 mars. Car c’est le principe que c’est la loi plus douce postérieure qui s’applique.»
Mais ce chapitre, ce sont les juges qui l’écriront. Aux tribunaux d’interpréter et d’avoir le dernier mot sur tous ces textes de loi qui ont été présentés et commentés au cours des dernières semaines.
Fabienne Armborst
«Je n’ai fait que de la gestion de crise»
En date du 1er avril, Georges Oswald (photo) a succédé à Jean-Paul Frising à la tête du parquet de Luxembourg. C’était en pleine crise. Il regrette que le départ à la retraite de son prédécesseur ait dû se faire sans que ses collègues aient pu lui dire adieu. Une chose est sûre, ses débuts comme procureur d’État de Luxembourg, il n’est pas près de les oublier.
«Depuis que j’ai commencé, je n’ai fait que de la gestion de crise. Presque tous les jours, il y a des nouveaux textes à appliquer.» Il poursuit : «D’habitude les changements de texte concernant la procédure pénale n’interviennent que tous les quelques mois, aujourd’hui le choses évoluent presque au jour le jour.» La situation est comme elle l’est, mais ce qui lui manque aujourd’hui personnellement, c’est que toute l’équipe des magistrats et fonctionnaires puisse être ensemble. «Même si on fonctionne beaucoup avec vidéoconférence et échanges de mails, il manque la vraie communication interpersonnelle.»
La justice réussira-t-elle à rattraper les retards de sa période de service réduit? C’est une question à laquelle il est difficile de répondre aujourd’hui. «On parle d’un problème élémentaire de santé publique. Personne ne nous aurait pardonné si on avait continué dans le même rythme et que des personnes auraient été infectées», tient à soulever le procureur d’État Georges Oswald. «Il y a eu au moins deux cas positifs de coronavirus au parquet de Luxembourg. Les conséquences auraient été tout autre si on avait poursuivi. Imaginez toute l’équipe infectée.»
«L’engorgement est réel»
Le parquet a donc fonctionné avec des équipes réduites et séparées qui ne se croisaient plus à la Cité judiciaire. «Les substituts en télétravail, quant à eux, avaient le droit de passer avant 7 h du matin ou après 19 h pour remettre ou récupérer des dossiers au bureau. Et cela est arrivé tous les jours, y compris les fins de semaine.»
Les audiences pour détenus, pour leur part, se sont poursuivies en tenant compte des mesures sanitaires imposées. «Il est question des libertés de personnes. On ne pouvait les mettre entre parenthèses.» Le procureur ne le cache pas : «Les grands retards se situent aujourd’hui au niveau des audiences publiques. Là, l’engorgement est réel.» Et les tribunaux sont loin d’avoir repris leur rythme de croisière. «On manque de grandes salles.» Actuellement, les citations à prévenu sont donc émises à des horaires décalés pour réduire le flux de personnes dans une même salle. La justice doit également jongler entre les délais des citations, les témoins non confinés, les personnes non vulnérables…
«Navigation à vue»
Pour la mi-mai des affaires criminelles ont été fixées. Et à partir du 2 juin, la cadence des audiences sera proche de son rythme quasi normal. Par sa propre décision de débuter ses vacances judiciaires le 3 août, la justice aura l’occasion de garder un rythme accéléré. Mais cela reste «de la navigation à vue», rappelle Georges Oswald. «Cela peut rechanger d’une semaine à l’autre. On est toujours tributaire de la situation sanitaire.»
F. A.