Les commerces ouvrent leurs portes ce lundi matin. En théorie. En pratique, le coronavirus a pu faire des victimes. Ceux qui résistent ont tout mis en place pour pouvoir accueillir des clients en toute sécurité et étouffer la pandémie qui leur nuit tant.
Que ces dernières semaines ont été longues pour les accros au shopping, les anciennes députées qui ne peuvent pas se passer de leur coiffeur ou les commerçants inquiets de l’avenir de leurs affaires. Ce matin, c’est reparti, les magasins ont officiellement rouvert leurs portes, contrairement aux restaurants et cafés dont certains commencent à voir de plus en plus rouge. Plus que jamais, les commerçants luxembourgeois insistent sur l’importance de consommer local.
Les commerçants ont lavé les vitrines de leurs magasins, nettoyé les devantures, réachalandé leurs portants, installé des protections en plexiglas et des distributeurs de gel hydroalcoolique. Vendredi après-midi, ils étaient tous suspendus aux lèvres du Premier ministre dans l’attente de directives sur la manière d’agencer leurs boutiques. Xavier Bettel a préféré en appeler aux responsabilités des uns et des autres plutôt que d’énoncer des règles claires. À chacun de faire comme il peut et veut pour garantir la sécurité des clients et du personnel.
Une fleuriste gantée et masquée de bleu pointe trois feuilles plastifiées de mesures imposées par son patron collées au mur près de la caisse. Elles détaillent comment et à quelle fréquence désinfecter le magasin et reprennent les gestes barrières à observer. «Chaque employée a reçu une trousse de couleur différente avec ses propres outils et nous avons plein de nouveaux produits désinfectants, explique-t-elle. Les plantes ne transmettant pas le coronavirus, donc toutes les protections en plastique ou en aluminium autour des bottes de fleurs seront remplacées par des élastiques.» La fleuriste avait hâte de reprendre et de retrouver le contact avec la clientèle. «Je n’ai absolument pas peur !, lance-t-elle. Les gens sont disciplinés ici et puis nous ne laisserons rentrer qu’une personne à la fois dans la boutique et uniquement si elle porte un masque.»
Les gens ont besoin de contact
Dans une rue parallèle du centre-ville de Luxembourg, Nadine Berend (propriétaire de la boutique de vêtements pour dames Richy) dispose des tuniques sur des portants. «J’attends de connaître les mesures exactes à mettre en place. J’ai déjà du désinfectant et des produits détergents, note-t-elle. Depuis le début de la crise, nous avons commencé à passer les vêtements à la vapeur entre chaque essayage et avant de livrer les vêtements au domicile de nos clients. Nous continuerons lundi. Je me suis procurée un plexiglas et si on me dit de l’installer devant la caisse, je le ferai même si ce qui n’est pas très logique. J’aimerais vraiment savoir combien de clients j’ai le droit d’accueillir en même temps. Ce n’est pas clair.»
L’énergique commerçante présente en centre-ville depuis des décennies a hâte de retrouver le contact avec ses fidèles clientes. «Au bout de deux mois de confinement, les gens ont besoin de contact. Cela devient vital et on le ressent. Les gens le recherchent, commente Nadine Berend. Au début de la crise, je me contentais de déposer les vêtements commandés sur le palier des clients. Ils les récupéraient et fuyaient. Aujourd’hui, ils sortent de chez eux et discutent à distance avec moi.»
«Tout est au carré, nettoyé, désinfecté»
Le besoin de relations sociales – et d’une bonne manucure – est plus fort que la peur. Claudia Carrabetta, patronne d’un institut de beauté de la capitale, pourra en témoigner dès ce lundi bien que l’ambiance détendue qui y règne habituellement sera sans doute un tantinet plus strict. Les papotages entre femmes limités par les masques et les mesures de sécurité mises en place.
Claudia Carrabetta prépare la réouverture de son institut de beauté depuis plus d’un mois. «Tout est au carré, nettoyé, désinfecté dans les moindres recoins. Tout est opérationnel !, certifie-t-elle. Nous avons espacé les tables à manucure. J’ai prévu une centaines de masques en tissu pour les filles et moi, ainsi que pour les clients qui n’en auraient pas. Nous porterons également des gants, des visières et des lunettes. En plus du plexiglas, je me demande si nous verrons encore ce que nous faisons !»
Manucure, épilation, extensions de cils, du travail de précision, mais aussi des prestations autour des principales zones de transmission du virus. Pourtant, l’équipe est heureuse de pouvoir reprendre le travail. «La durée des rendez-vous a été rallongée pour éviter les faux pas», note la patronne. Le carnet de rendez-vous pour la semaine qui démarre est déjà complet. «Les clients ont déjà pris des rendez-vous en juin et en juillet. Nous avons la chance dans notre secteur d’activité de reprendre avant l’été. Les clientes font généralement plus de soins à cette période de l’année.» Si Claudia Carrabetta comprend la décision de fermer les commerces, il est «maintenant temps d’ouvrir» et ce, d’autant plus que les Luxembourgeois sont très disciplinés et respectueux des mesures mises en place.
«La situation devient sérieuse»
Il est grand temps d’ouvrir en effet. Pour certains commerçants, la crise du coronavirus pourrait tuer leurs boutiques. Alors, ils comptent sur la reprise même s’ils savent qu’elle sera difficile.
«J’ai obtenu des conseils quant à l’aménagement de mon magasin par l’association allemande dont je fais partie, indique Christiane Schmit, propriétaire du magasin de jouet Domino, en pointant un distributeur de produit désinfectant à gauche de la porte d’entrée. Nous avons élargi l’espace entre les rayons pour permettre aux clients de se croiser. Ici, c’est nickel chrome. Nous ne laisserons personne entrer sans masque et se laver les mains.»
La commerçante se réjouit «comme pour la première ouverture du magasin, il y a 28 ans». La seule chose dont elle a plus peur que du coronavirus, c’est que les clients ne soient pas au rendez-vous. «Nous sommes en crise depuis trois ans ici à Luxembourg. Nos réserves sont à sec», témoigne-t-elle. Il me reste six mois. Si je ne parviens pas à redresser la barre d’ici là, je vais devoir fermer.»
En cause de ce triste constat, selon elle, les nombreux chantiers, le manque de places de stationnement et de relations en transports en commun. «Il y a du monde le samedi, certes, mais nous ne pouvons pas vivre avec les recettes d’une seule journée» explique-t-elle. «Les magasins ferment. Même les franchises. Les chiffres enregistrés ne font pas le poids face aux prix des loyers. (…) La situation devient vraiment sérieuse. J’ai longtemps dit que nous nous relèverions à la fin des chantiers. Trois ans, c’était faisable, mais avec la crise du coronavirus…» La commerçante est persuadée que certains commerces ne rouvriront pas leurs portes ce lundi matin. «C’est différent pour les magasins dans les grandes surfaces qui ont beaucoup de passage tout au long de l’année et de meilleures réserves. Ici, nous n’en avons plus…»
Double injustice
Christiane Schmidt n’est pas la seule à être de cet avis. Plus loin, dans la rue Louvigny, Michel Rodenbourg et Freddy Schaack, gérant de «House of Underwear», discutent d’une devanture à l’autre. «Regardez autour de vous, la rue est vide. Tout le monde travaille de chez soi, les bureaux sont vides. Nous avons besoin de monde pour fonctionner, indique le gérant de L’Épicerie. Plus personne n’habite en centre-ville et il n’y a plus de touristes.» «Heureusement, j’ai pu faire un chiffre d’affaires suffisant avec les ventes sur letzshop.lu et les bons d’achat sur kaaftlokal.lu pour payer les salaires de mes employées. Je vais tenir le coup, mais je connais des magasins et des restaurateurs en grande difficulté, indique Freddy Schaack. Certains propriétaires comprennent la situation et d’autres sont moins généreux. Je leur souhaite de ne pas retrouver de locataires de sitôt, si les leurs venaient à faire faillite.»
«Mon épicerie fine est restée ouverte. Mon épouse et moi étions derrière le comptoir et nous avons raccourci les horaires d’ouverture. Nous avons effectué beaucoup de livraisons. C’est ce qui nous a permis de garder la tête hors de l’eau», explique Michel Rodenbourg. Son voisin d’en face garde le moral : «J’ai fait toutes mes livraisons à vélo. En un mois, j’ai parcouru 1 000 kilomètres dans le pays.»
Fermer les commerces n’était pas une bonne chose pour les deux hommes. «Les grandes surfaces ont pu travailler et pas les petits commerces. Je suis pourtant persuadé qu’il est plus simple de mettre en place une certaine forme de discipline et de maintenir les distances de sécurité dans un petit commerce que dans une grande surface, pense Michel Rodenbourg. Il y a une double injustice : ces grandes surfaces n’ont pas uniquement vendu des produits alimentaires et des produits d’hygiène. J’ai très peur pour beaucoup de commerces et de représentants du secteur Horeca qui ne s’en remettront pas.»
Les perspectives pour les commerçants ne sont pas au beau fixe, mais ils veulent y croire encore. Vendredi, ils ont donc préparé leurs boutiques et leurs marchandises pour accueillir à nouveau les clients en toute sécurité dès aujourd’hui.
Sophie Kieffer