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Le CETA ratifié par 31 voix contre 8, le CSV boycotte le vote


Les élus du CSV se sont retrouvés dans le foyer du Cercle Cité pour éviter de ratifier le CETA, accord que le parti est pourtant venu défendre, hier après-midi, à la Chambre (photo : Chambre des députés).

L’accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada a été validé, hier soir, dans un climat odieux. Le vote en plein état de crise a suscité l’ire de l’opposition. Le CSV, favorable au texte, a fui la plénière.

Peu avant 19 h, les dés étaient jetés pour de bon. Après un débat houleux, le Luxembourg est devenu le 14e pays de l’UE à ratifier l’accord de libre-échange conclu entre l’UE et le Canada, plus connu sous l’acronyme CETA. Ces quatre lettres ont divisé jusqu’au bout le Parlement, d’autant plus que majorité et opposition n’ont pas trouvé de terrain d’entente pour décaler le vote et éviter ainsi une décision en plein milieu de l’état de crise.

Des mots très durs avaient déjà été prononcés mardi par déi Lénk, l’ADR et les Pirates pour obtenir un report. Hier, deux nouvelles tentatives ont été rejetées par la majorité, qui avait toutefois proposé de se contenter du débat et de reporter le vote à une date ultérieure.

Les principes démocratiques, évoqués par les uns et les autres hier, ne sont en tout cas pas ressortis renforcés d’une séance plénière qui s’est tenue dans un climat odieux. Le boycott du vote par le CSV est venu couronner le tout. Il ne faut pas tirer prétexte de la crise, s’est justifiée la cheffe de file Martine Hansen quelques instants avant de quitter la salle avec ses collègues chrétiens-sociaux.

Le plaidoyer de Viviane Reding

«Des douzaines d’associations ont été privées de leur droit de manifester», a-t-elle ajouté, en renvoyant vers les règles de confinement ne permettant pas les rassemblements. Le choix a toutefois de quoi interpeller car le CSV est bien favorable au CETA, comme l’a prouvé le plaidoyer tenu par la députée Viviane Reding. «Je suis contente que l’UE ait réussi à se rassembler autour d’un compromis qui permet de créer de nouveaux standards», s’est notamment félicitée l’ancienne commissaire européenne.

Malgré le «dilemme» invoqué plus tard par Paul Galles (CSV), la ratification du CETA était censée être soutenue par une très large majorité de la Chambre, avec les votes des 31 élus de la majorité et des 21 députés du CSV. L’ADR (4 élus), déi Lénk (2) et les pirates (2) ont clamé depuis de longs mois leur opposition au texte. Contrairement au CSV, les trois petits partis d’opposition sont restés assis en plénière pour participer au vote qui s’est donc finalement conclu sur un résultat exceptionnel : 31 voix pour, 8 voix contre.

Quelques dizaines de manifestants devant le Cercle Cité

Avec tout cela, la forme a clairement pris le dessus sur le fond du projet de ratification d’un accord comptant plus de 2 300 pages et qui s’avère très complexe. La substance du CETA, à savoir le volet commercial (baisse des tarifs douaniers, conditions pour l’importation et l’exportation), est en effet déjà en vigueur depuis 2017. Hier, il a été avancé que jusqu’à 95 % du texte est déjà d’application. Provisoirement, car il s’agit d’un «accord mixte», qui nécessite la ratification des 27 pays membres de l’UE et de ses 43 parlements nationaux et régionaux.

Malgré l’interdiction de se rassembler, quelques dizaines de manifestants attendaient les députés devant le Cercle Cité, lieu de réunion provisoire de la Chambre en cette période de crise. Leur espoir, formulé aussi dans plus de 800 mails envoyés aux différents élus, reste de faire abroger le CETA. Quel impact aurait un non du Luxembourg? «La question n’est pas encore entièrement tranchée», admet Yves Cruchten (LSAP), rapporteur du projet. Il est toutefois probable que l’accord va être scindé en deux. «Voter contre le CETA équivaut à jouer avec le feu. On refermerait ainsi la porte au nouveau système de protection des investisseurs», note le ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn.

Déi Lénk redoute une «dictature»

Et c’est précisément ce volet qui a été soumis hier au vote de la Chambre. Les anciens tribunaux d’arbitrage en matière commerciale, régis par le privé et fonctionnant en l’absence de juges indépendants, doivent être remplacés par une juridiction neutre et transparente. «Le respect des standards européens est garanti. La nouvelle Cour ne pourra en rien s’immiscer dans la législation européenne», insiste Viviane Reding, suivie dans ses propos par les élus de la majorité.

Ce principe, ancré dans le CETA, n’est pas suffisant pour convaincre déi Lénk, plus remontée que jamais contre les accords de libre-échange. «Le CETA aide les multinationales, soutenues par la finance, à instaurer une dictature à l’échelle mondiale. Elles vont devenir plus fortes que les États. On leur sert la démocratie sur un plateau», fustige David Wagner. L’élu redoute une libéralisation des services publics et la levée de tous les standards sociaux et écologiques. «Où est la plus-value des exportations et des importations de produits qui peuvent tout aussi bien être produits chez nous?», s’interroge encore David Wagner, chargeant au passage le LSAP et surtout déi gréng, longtemps déchirés sur le principe du CETA.

«Pas un cheval de Troie»

Cette argumentation a été rejetée par les élus de la majorité. «On s’est fixé une série de lignes rouges qui n’ont pas été transgressées. La distribution de l’eau ou encore l’agriculture ne sont pas menacées», souligne Gusty Graas (DP). Pour Mars Di Bartolomeo (LSAP), «le CETA n’est pas un cheval de Troie pour les multinationales américaines. Il ne constitue aucun danger pour notre système de santé, de sécurité sociale ou nos services publics.»

Attendue au tournant, Stéphanie Empain (déi gréng) estime que le CETA «n’est certainement pas parfait», mais son parti aurait accepté de «négocier un compromis» qui serait acceptable, surtout en ce qui concerne la nouvelle juridiction d’arbitrage. Une sortie du système néolibéral ne serait d’ailleurs pas exclue par le CETA.

L’auteur d’une motion absent du vote

Les argumentations de l’ADR et des pirates étaient moins claires. Fernand Kartheiser avance ainsi que son parti est «pour le libre-échange et des marchés ouverts». Le temps des accords de libre-échange serait toutefois révolu et contraire au droit européen.

Sven Clement ne s’est pas trop avancé sur le fond du texte, mais a fustigé le «manque de transparence» ayant marqué la négociation du CETA. De plus, les Pirates plaident pour «un retour aux accords multilatéraux».

La Chambre, ou du moins les 39 députés restants, ont en fin de séance accepté de donner une suite favorable à une motion, déposée par le CSV, toujours absent, pour suivre à la lettre la transposition du CETA. «C’est du jamais-vu que l’auteur d’une motion ne participe pas au vote», conclut un Mars Di Bartolomeo désemparé.

David Marques