Tous les clubs du pays annoncent une désertion massive et logique des sponsors. De 30 à 50 %, annoncent la majorité des entités de DN. Nous en avons rencontré.
Le Progrès n’est peut-être pas celui qui a initié le mouvement, mais il a en tout cas été le premier à annoncer le faire : baisser les salaires dans le cadre de nouveaux contrats, c’était une question de cohérence budgétaire urgente et absolue.
De combien les salaires des joueurs de DN seront-ils amputés ? Pas mal de directeurs sportifs annoncent des coupes sombres forcées et le fait qu’un club comme Niederkorn soit sorti du bois les aide à faire passer la pilule, mais à la lecture du témoignage de deux sponsors très engagés que nous avons contactés, il est évident que le mécène moyen du football luxembourgeois s’en moque un peu. Et même beaucoup. Non pas qu’il n’ait pas conscience de la panade dans laquelle les clubs vont se retrouver, mais plutôt qu’ils regardent cette crise comme une opportunité à saisir. Oui ils donneront moins, oui, certains arrêteront même de donner tout court, mais ils le feront le cœur lourd et avec la certitude qu’il peut en sortir du bon. Que cette bulle spéculative dont jouissent (ou abusent disent-ils) les joueurs a tout intérêt à éclater pour que l’on s’en retourne à des valeurs qu’ils estiment plus saines.
«La construction ou l’affinement de l’image»
Pourtant, la course aux sponsors va continuer. Mais entre les dirigeants qui refusent de les harceler pour ne pas les braquer alors que ces derniers sont occupés à garder leurs entreprises à flot, et ceux qui se lancent déjà dans un porte-à-porte effréné pour sauver ce qui peut l’être, il est évident qu’il y aura quand même de la casse. Sur son site internet, le club de Mondorf accueille sur sa page «sponsors» avec un texte introductif qui ressemble à la profession de foi que tout un chacun se devra visiblement d’adopter ces prochaines semaines : «Enthousiasme, esprit d’équipe, dynamisme, passion, telles sont les valeurs véhiculées à travers notre club.»
Vendre de l’«humain», c’est bien, mais vendre tout court, c’est mieux, il y a donc tout aussi important deux lignes plus bas : «Vous êtes disposé à partager ces valeurs et vous souhaitez les utiliser dans le cadre de la construction et/ou de l’affinement de votre image de marque», revendique le club mondorfois. En plein dans le mille. Les clubs qui se sortiront le mieux de cette crise de fonds seront sans doute ceux qui parviendront à se rendre incontournables dans le paysage local, ceux qui sont ou deviendront des pivots incontournables du tissu socioéconomique.
Mais a priori, les acteurs économiques exigent avant toute chose que le football se refasse une virginité. Donner de l’argent, d’accord quand c’est possible, mais pas pour faire n’importe quoi. Ni n’importe comment. Ni avec n’importe qui.
Julien Mollereau
«Je m’inquiète plus pour mon entreprise. De mon côté, j’ai 67 salariés, c’est le plus important. Je m’en fous qu’un joueur ne touche plus son argent»
Qui est-ce qu’ils sponsorisent ? Vincenzo Monte, propriétaire des hôtels-restaurants Gulliver de Bascharage et Differdange, n’est pas avare en contrats de sponsoring. Il est impliqué auprès du FC Differdange 03 et de l’UN Käerjeng au niveau du football, mais aussi auprès des clubs de handball des deux communes. On appelle ça un entrepreneur très impliqué dans la vie sportive locale. Pourquoi sponsorisent-ils ? «Parce que j’aime le foot ! J’y vais souvent pour voir.»
Ont-ils un retour sur investissement ? «Bien sûr que l’on a un retour sur investissement, surtout si le club que l’on sponsorise se retrouve en Coupe d’Europe. On ne récupère pas l’intégralité de la somme que l’on a investie dans le club, mais cela fait partie du commerce : on y gagne beaucoup en visibilité. Nous, on a d’ailleurs notre logo sur le short de Differdange (NDLR : sur la cuisse droite, à côté du numéro du joueur).»
Comment leur entreprise se porte-t-elle ? «On va parler de situation difficile mais pas dramatique. On a quand même pu s’organiser pour sauver l’activité restauration avec six véhicules qui livrent tout de même une centaine de repas par jour. Mis pour garder le chiffre d’affaires restant, celui des banquets annulés, des séminaires, de l’hôtellerie, là, c’est plus dur. En plus, le tourisme souffrait déjà depuis plusieurs semaines avec tous les Asiatiques qui ne voyageaient déjà plus. Et pour que cela aille vraiment mieux d’ici cet été, il faudrait un vrai miracle. Déjà, que les avions volent de nouveau… Mais pour le moment, moi, je n’ai pas beaucoup d’aide de l’État. Juste un report de charges et une aide à l’endettement à des taux d’intérêt préférentiels.»
Vont-ils continuer à sponsoriser ? «Bon, les contrats courent jusqu’à la fin de la saison. Après, en juillet, on verra dans quel état on sera. Mais honnêtement, je pense que je ne pourrai plus. Si ça continue de la sorte, je ne suis plus en mesure de le faire et si je coupe un sponsoring, je les coupe tous. Je n’en garde pas un seul. Quand la situation sera revenue à la normale, pourquoi pas ? Mais quand est-ce que ce sera, ça… Non, je crois qu’il va falloir attendre des jours meilleurs.»
Que pensent-ils de la façon de fonctionner des clubs ? «Je pense que cette histoire va porter un gros coup aux clubs. Mais peut-être va-t-on revenir à la base. On ne va plus jouer pour faire de l’argent. Cela ne va pas tuer le football au pays, mais plutôt le côté commercial. Moi, je m’inquiète plus pour mon entreprise que pour le football. Eux sont structurés comme des entreprises de toute façon, ils s’en sortiront. De mon côté, j’ai 67 salariés, c’est le plus important. Je m’en fous qu’un joueur ne touche plus son argent. Qu’on me comprenne bien : je sais que pour les joueurs c’est grave, qu’eux aussi vont avoir des difficultés, car tout le monde organise sa vie en fonction des rentrées d’argent dont il dispose. Mais là, c’est au président de club de s’en faire.»
«Je vois ça comme une chance pour les clubs : ils vont se retrouver en position de force dans les négociations, au lieu de se faire voler par des gars qui pensent qu’ils valent de l’or»
Qui est-ce qu’ils sponsorisent ? L’ancien arbitre international Abby Toussaint est impliqué du côté du FC Wiltz 71 mais aussi du Minerva Lintgen. Le reste de ses partenariats l’amène du côté de la fédération de handball mais aussi du tennis de table avec Reckange et Lintgen. Il brasse large.
Pourquoi sponsorisent-ils ? «On a des affinités locales. Des clubs dans lesquels on a joué, ou dans lesquels on connaît des gens. Les contrats, ce n’est pas toujours lié aux résultats. On se demande aussi ce que les clubs font avec notre argent. À Wiltz par exemple, leur place en DN, ils ne l’ont pas achetée. Ils ont fait ce qu’il fallait pour. Et nous, ce qu’on vient chercher, ce n’est pas un panneau, c’est plus un réseau, dans une région dans laquelle on évolue.»
Ont-ils un retour sur investissement ? «Cela dépend, cela varie d’un club à l’autre et c’est justement l’un des aspects qui vont changer durant cette crise : les petits sponsors vont faire bien plus attention à ce que cela leur rapporte. Ont-ils un retour ou non ? Après, si vous me demandez si quelqu’un est déjà entré chez moi en me disant qu’il a vu une pub au stade… non, pas souvent. C’est rare qu’un panneau vous ramène un client, comme je le disais plus haut.»
Comment leur entreprise se porte-t-elle ? «Dans notre domaine, on profite encore des ventes effectuées en fin d’année 2019 ou début d’année 2020. Mais on est à l’arrêt complet : pas de visites, pas de ventes. On guette la reprise des activités pour le 11 mai. Mais en même temps, si on peut mettre 300 personnes ensemble dans un supermarché, j’imagine que cela devrait être possible d’autoriser deux personnes à visiter une maison, non ?»
Vont-ils continuer à sponsoriser ? «Pour moi, il est clair que quand on a un engagement, on le respecte. Nous en avons pris certains qui courent sur plusieurs années, deux ou trois. Quand on sponsorise un maillot qui ne se change pas d’une année sur l’autre, on ne va pas s’amuser à laisser un club tomber. Par contre, prendre d’autres engagements, c’est autre chose. Un engagement moyen, c’est 5 000 à 10 000 euros, mais 20 000, ça reste une petite somme pour la présence qu’on a. On ne va pas saupoudrer partout. On en supprimera peut-être certains, mais il n’y aura pas de report non plus. On va regarder quels sont nos intérêts. Ce n’est pas du sponsoring à proprement parler, c’est un vrai partenariat qu’on veut.»
Que pensent-ils de la façon de fonctionner des clubs ? «Je suis échevin au conseil communal de Mersch et, de ce fait, j’assiste à pas mal d’assemblées générales de clubs. Il est très malsain de voir que certains, dans notre pays, travaillent finalement toute l’année pour payer des joueurs. Il faudrait peut-être se poser la question : quel est le but de leurs associations? Où sont les aspects sociaux, l’encadrement des jeunes ? Le sponsoring, j’ai l’impression que cela va énormément varier d’une branche d’activité à l’autre, et fortement. Et c’est logique : moins de sponsors, moins d’argent. Cela va être le moment pour les entraîneurs et les joueurs de revoir sérieusement leurs revendications. Moi, je vois ça comme une chance pour les clubs : ils vont se retrouver en position de force dans les négociations, au lieu de se faire voler par des gars qui pensent qu’ils valent de l’or.»