Le confinement commence à peser sur le moral des Luxembourgeois. Au Pfaffenthal, des bancs publics sont devenus le point de rencontre pour tromper l’ennui entre voisins.
Semaine 5 de confinement. Le Pfaffenthal a retrouvé sa torpeur d’avant l’inauguration de l’ascenseur panoramique et la construction de la gare périphérique. Le calme a réenvahi les ruelles pavées foulées par des touristes, des travailleurs pressés ou des Fangio en trottinette. Plongé au cœur de la vallée de l’Alzette, le faubourg de Luxembourg est redevenu un cocon pour ses habitants d’origine. Un cocon qui ne les protégera pas du coronavirus, ils en ont bien conscience.
À l’image de Willy, un des ancêtres du quartier. Jadis toujours en promenade ou observant les allées et venues appuyé sur sa canne à l’angle d’une rue, casquette bleue vissée sur la tête, l’octogénaire reste confiné à sa fenêtre d’où il papote avec ses voisins. Olga, Mim et les autres octogénaires ne mettent plus le nez dehors, voire juste pour faire un petit tour de pâté de maison, histoire de se dégourdir les jambes. Autour d’eux, l’entraide s’organise. Tout comme autour d’Éliane, la cinquantaine, atteinte de bronchopneumopathie chronique obstructive. Ses journées sont rythmées par la promenade de son chien. «Je dois marcher pour augmenter mes capacités pulmonaires», explique-t-elle, appuyée à sa fenêtre donnant sur une Alzette qui n’a jamais été aussi limpide. «Je ne vais pas bien loin. Je suis une personne à risque.»
Éliane se promène avec Scampi dans l’Odendall où beaucoup d’habitants du quartier viennent prendre l’air. Certains y ont même investi une série de bancs en plein soleil. «Une personne par banc ! Nous respectons strictement les mesures de distanciation», souligne Pierre, un sexagénaire au bagout du cru. Nous ne voulons pas avoir d’ennuis et par conséquent devoir rester enfermés chez nous.» Une demi-douzaine d’habitants, dont certains se connaissent depuis l’enfance, y arrivent les uns après les autres. Le rendez-vous improvisé permet de tromper la solitude de ces hommes et de ces femmes.
La cohésion, maître-mot des familles du quartier
«Cela commence à devenir long», indique Maggy qui revient de sa promenade avec Nemo, son shih tzu : «Mes enfants et mes petits-enfants me manquent. Je n’ai pas pu fêter Pâques avec eux.» Marceline, elle, a dû faire une croix sur une «fête d’anniversaire digne de ce nom». Triste, elle a cependant pu compter sur la solidarité de ses voisins qui ont tous eu une petite attention pour elle vendredi dernier. Une voisine lui a préparé une tarte, un autre lui a amené de la bière, Maggy, une bouteille de vin rosé. D’autres lui ont chanté Joyeux anniversaire ! de loin.
Beb, assise sur un rocher à l’ombre d’un marronnier à proximité des bancs, regrette l’annulation de l’Emäischen et du Maertchen, deux manifestations qui rythment la vie des habitants du quartier, pour la plupart forains ou descendants de forains. Elle s’y rendait chaque année depuis l’enfance. «On n’avait rien», se souvient une septuagénaire aux cheveux blancs également prénommée Maggy. «Je faisais les courses pour tout le quartier afin de mettre un peu de monnaie de côté. J’aimais bien passer chez le ramoneur, il me donnait toujours la pièce. C’était le plus généreux. Quand on avait assez d’argent, on allait au cinéma à Eich et quand on était plus âgées, on allait au bal au Béinchen.»
À bonne distance les uns des autres, ils échangent des souvenirs, des anecdotes, saluent les passants. Certains s’arrêtent et prennent le temps de discuter quelques instants. La cohésion a toujours été le maître-mot des familles originaires du quartier depuis des siècles. Elle s’est encore renforcée depuis la tragique explosion de mai 1976 qui a fait trois victimes et rasé une partie du quartier.
«On a perdu le peu qu’on avait. Le reste a été volé», raconte Roger. «La maison de ma grand-mère ne tenait plus debout. On a été évacués, comme tous les habitants du quartier», complète la deuxième Maggy. «À l’emplacement des immeubles de la rue Mohrfels, il y avait un pré occupé par les forains et leurs caravanes. C’était chouette !» À grands renforts de «Tu te souviens ?» et de «C’était mieux avant», les habitants trompent l’ennui et «parlent d’autre chose que de ce foutu virus».
«Cela ressemble au film Un jour sans fin»
«Mes amis me manquent, ma famille me manque, vivre ma vie me manque, lance Marceline. Heureusement que nous avons ce point de rendez-vous pour parler à des gens, même si c’est toujours les mêmes, sinon je serais encore plus déprimée. Et Dieu soit loué, il a fait soleil tous les jours. Ce confinement serait insupportable sous la pluie.»
Dans le centre du quartier, la file d’attente s’allonge devant l’épicerie à l’approche du week-end. Les tables et les chaises installées devant son entrée ont disparu au grand regret de certains riverains habitués à s’y retrouver autour d’un café et y trouver de la compagnie. Aujourd’hui, c’est l’un après l’autre qu’ils entrent «chez Chico et Eva» qui n’hésitent pas à livrer à domicile. Les discussions ne s’éternisent pas à l’intérieur. «Je me sens coupable de discuter trop longtemps, dit un voisin. Je ne sais pas si c’est bien ou pas.»
«La situation n’a pas que des côtés négatifs, emboîte une jeune femme masquée attendant sagement son tour. Je suis en télétravail chez moi. J’ai gagné en qualité de vie. Le temps que je perds d’ordinaire dans les transports, environ deux heures par jour, me permet de faire du sport et de cuisiner de vrais bons petits plats sains.»
Le confinement peut s’envisager de différentes manières, selon qu’on trouve à s’occuper ou pas. Cependant, la solitude et la distanciation qu’il impose commencent à peser sur le moral de tout le monde. Tous les soirs, à 20 h, le quartier applaudit. Un riverain DJ sonne l’heure grâce à sa sono et baigne la vallée de rythmes électroniques l’espace de quelques minutes. Marceline lâche en rigolant : «J’ai l’impression d’être dans le film Un jour sans fin !»
Sophie Kieffer