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Luxembourg : un plan de relance différent de ceux de l’Allemagne et de la France


Le Kirchberg, l'un des poumons économiques du pays (Photo : Julien Garroy).

La crise sanitaire du coronavirus est sans précédent, tout comme la crise économique qui en découle. Les chiffres font tourner les têtes. Et plus la crise va durer, plus les chiffres vont gonfler. L’équation est simple et les enjeux dramatiquement réels.

Une récente note de travail de Research Luxembourg (une initiative commune des principaux acteurs de la recherche publique luxembourgeoise) sur les effets économiques du virus au Luxembourg souligne que «chaque mois de verrouillage réduit mécaniquement le PIB annuel de 2 % à 3,5 %». Toujours selon cette note de travail, «la production mensuelle du pays est réduite de 28 %». Cette réduction pourra aller jusqu’à 42 %. Plus d’un tiers des travailleurs du pays sont au chômage partiel, tout comme un quart des entreprises du pays. Les plus optimistes pensent déjà à la reprise et à la relance économique quand d’autres sont noyés dans le tourbillon abyssal des chiffres en millions et en milliards.
Le laboratoire d’idées de la Chambre de commerce, la Fondation Idea, a tenté de prendre le pouls du terrain en soumettant une brève consultation à une centaine de décideurs économiques et politiques du pays. Le but, prendre la température des principaux concernés sur l’ampleur que pourrait prendre le choc économique lié à la crise sanitaire et économique, mais également savoir comment le programme de stabilisation du gouvernement a été perçu. Sur les 119 décideurs interrogés, 59 ont accepté de répondre entièrement à la consultation.
Interrogés sur l’évolution du PIB luxembourgeois en 2020 et 2021, les décideurs sont pessimistes. «Un consensus se dégage et les décideurs signalent un fort degré d’incertitude. En 2020, la croissance économique du Luxembourg serait comprise entre -6 % et -4 % pour le tiers des répondants et entre -8 % et -2 % pour près de sept panellistes sur 10, avec un point central s’établissant à -5 %», analyse Vincent Hein, économiste au sein de la Fondation Idea.

Selon les économistes du think tank, la croissance en 2020 devrait être de -4 %, puis de 4,8 % en 2021 grâce à un effet de rebond. In fine, la perte en PIB à la fin de 2021 par rapport à la même période, mais sans la crise, serait de 5 %, soit 3 milliards d’euros. «Évidemment, il faut rester très prudent avec les prévisions, car cela peut changer très rapidement en fonction de la durée du confinement, des aides du gouvernement ou encore d’un éventuel retour épidémique dans les mois à venir», modère Muriel Bouchet, économiste en chef de la Fondation Idea.
Autre motif d’inquiétude, les décideurs estiment très probable une hausse du chômage en 2020. «Près de 80 % des répondants projettent une hausse du chômage en 2020. Il pourrait être proche de 7 %», souligne Vincent Hein après analyse des réponses des consultants.

Des aides directes et des avances en liquidité

À côté des incertitudes sur la bonne santé économique du pays, les décideurs ont jugé satisfaisante la réponse du gouvernement à la crise par le biais du programme de stabilisation. «Le plan de stabilisation annoncé le 25 mars par le gouvernement est jugé comme étant adapté à la situation par une écrasante majorité des répondants. Néanmoins les décideurs estiment qu’il devrait être complété par des mesures fréquemment mentionnées comme plus ciblées», explique l’économiste avant d’ajouter : «Il est à noter que la consultation a été faite avant l’annonce d’autres aides du gouvernement.»

Justement, la Fondation Idea s’est attardée sur ce fameux programme de stabilisation. Si, dès sa présentation, de nombreuses voix, à l’instar des artisans, des indépendants et des jeunes pousses, s’étaient fait entendre afin de s’assurer de n’être pas oubliées par les aides du gouvernement, il est à noter qu’il diffère des plans similaires adoptés en France ou en Allemagne. «Une particularité du plan luxembourgeois», selon l’économiste Sarah Mellouet, de la Fondation Idea, est que, contrairement aux plans français et allemand, il accorde une grande attention aux aides directes et non remboursables et aux avances en liquidité.

Force est de constater que les avances en liquidité, c’est-à-dire les reports d’impôts, taxes et cotisations, correspondent à 55 % du programme luxembourgeois de stabilisation de l’économie. En Allemagne, ce type de mesures ne compte que pour 10 % et en France, pour 16,3 %. Le plan luxembourgeois est également plus généreux en matière d’aides directes, donc non remboursables, puisque ces aides comptent pour 17 % du plan là où elles ne pèsent que 14 % en Allemagne et 8,8 % en France.
Les Allemands et les Français ont en effet opté massivement pour les garanties d’État pour les prêts bancaires, qui correspondent à 76 % des aides en Allemagne et 75 % en France. Le fait que le plan luxembourgeois ait mis l’accent sur les aides directes et les avances en liquidité, et non pas sur les prêts et donc l’endettement des entreprises, semble plus favorable aux entrepreneurs.
Semaine après semaine, l’intervention de l’État pour éviter le pire et une détérioration rapide du tissu économique luxembourgeois est régulièrement mise à jour avec de nouvelles aides. Mais, selon Sarah Mellouet, «il est encore trop tôt pour dire si ce plan de stabilisation est à la hauteur. Il faudra attendre l’analyse des indicateurs après la crise : le chômage ou le nombre de faillites par exemple.» «Nous serons alors en mesure de comptabiliser les victimes collatérales de la crise sanitaire», affirme Sarah Mellouet, consciente qu’il s’agit d’une lecture froide de l’économie dans un contexte sanitaire où l’aspect humain doit primer.

Jéremy Zabatta