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Covid-19 : « On ne souhaite cette m… à personne », témoigne notre journaliste


Infecté par le Covid-19, un journaliste de la rédaction du « Quotidien » raconte ses trois semaines passées à lutter contre la maladie. (Photo : DR)

Mi-mars, l’un de nos journalistes a été infecté par le Covid-19. Il raconte la maladie, son combat, ses angoisses… et bien d’autres choses.

«Votre épouse tousse? Elle a de la fièvre, des courbatures? Le mieux, c’est de rester à la maison, de prendre du doliprane et de ne plus sortir de chez vous…» Le lundi 16 mars, vers 23 h 45, le médecin chargé de réguler les appels du 15 est catégorique. Ferme. C’est au retour du travail, lorsque j’ai franchi le pas de la porte, qu’elle m’a appris qu’elle venait de tomber malade de cette même façon brutale et impromptue que toutes les entrées dans cette pathologie. Soignante dans une maison de soins, elle avait fait part de ses craintes les jours précédents. Craintes parfaitement fondées. D’abord fébrile, elle se plaignait désormais de tous les symptômes principaux décrits par tous les malades. Elle se pliait en deux, clouée au lit. Le retour du travail était brutal mais, avec cette soirée du 16 mars, s’ouvrait un chapitre inédit pour nous. Ce que toutes les nombreuses familles touchées allaient devoir apprendre à gérer.

Confinement. Évitement. Éloignement. Tendrement. Si tant est que ce soit possible dans une famille classique avec femme et enfants. Deux jours d’apprentissage. De surveillance. D’appréhension. Dans ce contexte, et à ce moment-là, à la mi-mars donc, hormis quelques chefs d’État illuminés, largement désavoués depuis, et autres inconscients mal informés, pas question de jouer aux gros bras. Et ce qui devait arriver arriva. Petits tremblements par petits tremblements. Toussotements après toussotements. Degré après degré. Banale entrée dans la maladie.

Sept jours durant, notre vie a été rythmée autour des rituels de contrôle. Téléconsultation avec le médecin traitant. Prise de température et prise de paracétamol. Prise de nouvelles des collègues, des amis et de la famille. Prise de la dose quotidienne d’informations. Plutôt agréable lorsqu’il s’agissait de son journal, donc de ses collègues. Plutôt anxiogène lorsque le regard dérivait presque inexorablement sur les chaînes d’infos et leurs plateaux d’experts qui s’avançaient alors à l’aveugle, la vérité d’un jour n’étant pas forcément celle du lendemain. Ces tartines explicatives allaient finir par davantage embrouiller qu’elles n’expliquaient. Que de retournements de situation. C’était il y a trois semaines. Une éternité…

En route pour le grand huit

Tout ronronnait malgré tout, on allait se diriger vers la deuxième semaine et cette seule perspective faisait souffler sur notre tanière un courant d’air frais. Stimulant. La félicité nous attendait. Il ne pouvait en être autrement. Impossible alors de songer à cette haie si difficile à franchir qui nous serait proposée. Un couperet allait tomber.

Après une semaine de prise de contact courtoise, c’est cette fois à la hussarde que nous allions en découdre avec le si fameux Covid-19. L’entrée en matière serait corrosive, abrasive. Il m’était brutalement proposé de voyager dans le temps, jusqu’à ce que le corps médical appelle aujourd’hui le fameux «jour J plus 7», là où on n’est plus malade uniquement du virus, mais aussi de la réaction immunitaire et inflammatoire qu’il provoque.

Tout s’est donc emballé en cascade. Les nausées et autres troubles digestifs, la fièvre, les douleurs musculaires et articulaires, la tachycardie, les crises de toux, le souffle effiloché. Le moral effondré et cette fatigue lancinante, omniprésente. En route pour le grand huit, en voiture présidentielle s’il vous plaît! Pas vraiment la peur de mourir non, même si on lit, on entend et on voit la mort s’inviter un peu partout mais toujours assez loin de soi. Mais on s’interdit d’appeler le 15 et le SAMU depuis qu’on a compris qu’il y avait plus urgent, donc plus grave.

L’écume de la nuit

On entend encore sa voix de stentor : «Patientez et ne rappelez que lorsque la respiration de votre compagne sera diminuée, ce qui n’est pas encore le cas, me dites-vous…» L’exemple de notre épouse est là pour nous rappeler que tout doit bien finir par s’arranger, à condition de patienter.

L’ami Georges Bassing, collaborateur historique du service des sports du Quotidien mais surtout directeur administratif de l’hôpital d’Ettelbruck, m’avait prévenu avec élégance. «C’est plus délicat pour beaucoup à compter du huitième jour, sois fort…» On avait échangé les semaines précédentes sur l’impériosité de combattre ce coronavirus, de prendre toutes les précautions, sur les dispositifs médicaux qui allaient devenir la norme.

C’est comme si de façon prémonitoire, je m’étais, à mon corps défendant, jeté dans ce piège à mâchoires multiples. Heureusement, il y avait la famille. Je correspondais aussi chaque matin avec mes collègues du Quotidien, tentant de prendre part aux discussions du groupe WhatsApp ainsi constitué. Je répondais aussi avec un réel bonheur aux messages des membres de la rédaction. L’impression de peser un peu. D’être là, bien costaud au milieu des potes-collègues. L’ami Petz Lahure y allait de ses encouragements répétés. «Qu’as-tu pensé de ma tribune reprise par l’AIPS (NDLR : l’Association internationale de la presse sportive)?». Le président de sportspress y pourfendait à juste titre la tendance qui se dessinait alors : le surplace du CIO pour les JO de Tokyo. De l’histoire ancienne aujourd’hui, évidemment, le principe de réalité ayant fini par émerger dans ce chaos…

Chaque réconfort a compté dans ce laps de temps, réduit à quatre jours mais qui ont paru une éternité. J’ai compris qu’il n’y avait pas de malin et, surtout, pas de passe-droit lorsqu’on est invité à vivre quatre jours dans l’intimité de la machine à laver du Covid-19. C’est de loin la meilleure expression que je puisse retenir aujourd’hui alors que je suis depuis longtemps déjà tiré d’affaire, avec uniquement un mal de tête matinal et une légère fatigue résiduelle.

La cuite sans l’ivresse…

Comme dans toute tempête, c’est les troubles digestifs qui frappèrent en premier à la porte de notre marin d’eau douce. Et c’est surtout la nuit que tout s’emballait. Réveil toutes les heures pour se changer de la tête aux pieds. Complètement trempé. Comme si l’écume recouvrait tout par-dessus bord. Au petit matin, fenêtre ouverte sur l’extérieur, il fallait reprendre son souffle. Coûte que coûte. Pas question de céder à la tentation d’appeler les secours, juré craché, on ne le ferait pas.

«Il y a plus urgent et plus grave», me répétais-je en boucle. Mon entourage acquiesçait. Ici ou là, commençaient et perçaient les impressions des infectiologues, pneumologues et autres urgentistes. Le virus finissait par s’inviter au-delà de la sphère pulmonaire. Au fond de mon lit, j’en éprouvais la sensation concrète. Oui, je le sentais. Au plus profond de ma chair, j’en étais désormais certain. Je sentais mon cœur s’emballer, mes viscères s’enflammer, ma tête exploser, mon corps défaillir. Et mon mental dépérir.

L’ancien infirmier, de premier métier, tentait de se raisonner. Comment le système nerveux central peut-il être impacté par un virus s’en tenant aux poumons ? Le journaliste finissait par trouver, au fil des jours et des avancées, les explications des spécialistes. Le système immunitaire surréagit. Voilà aussi pourquoi chaque matin, de quatre à dix heures, c’est comme si un feu continu enflammait ma bouche. J’absorbais alors jusqu’à deux litres d’eau, mais la gueule de bois perdurait longuement. La cuite, sans l’ivresse…

Puis, miracle, en fin de deuxième semaine, l’étau s’est desserré petit à petit. Presque minute par minute. Heure par heure. Et jour après jour. La vie est brutalement redevenue vivable. De belles journées d’un printemps que je ne suis pas près d’oublier. La fierté (ou l’inconscience, je ne le saurai jamais?) de ne pas avoir encombré les hôpitaux débordés était réelle. La honte d’avoir flippé (visiblement plus que de raison), également. Qu’est-ce que j’avais flippé, inutile de le cacher.

Le soulagement, surtout, de constater qu’apparemment, je n’avais contaminé personne lors de ma dernière journée travaillée du 16 mars. Ouf, on ne souhaite cette m… à personne. Et nous, mon épouse et moi, nous sommes encore là à en parler, assez paisiblement après l’effroi. Pas vraiment rescapés. Et pas encore complètement rassurés.

Denis Bastien