Utiliser les données de nos téléphones pour lutter contre le coronavirus, tout en évitant les atteintes aux libertés individuelles : le gouvernement français planche sur ce sujet épineux avec un projet d’application mobile pour « identifier les chaînes de transmission », sur « la base du volontariat ».
D’abord hostile à l’idée d’un traçage numérique et face à des élus aux aguets sur cette question, l’exécutif prépare désormais les esprits à un éventuel recours à cette technique lors du déconfinement de la population afin d’éviter une nouvelle flambée de l’épidémie.
Dans un entretien au Monde mercredi, le ministre de la Santé, Olivier Véran, et le secrétaire d’État au Numérique, Cédric O, expliquent que le gouvernement travaille à un projet baptisé « StopCovid ». Il vise à « développer une application qui pourrait limiter la diffusion du virus en identifiant des chaînes de transmission » tout en étant respectueuse de la vie privée et des libertés individuelles, détaille Cédric O. « Aucune décision n’est prise » mais « l’idée serait de prévenir les personnes qui ont été en contact avec un malade testé positif afin de pouvoir se faire tester soi-même, et si besoin d’être pris en charge très tôt, ou bien de se confiner », explique-t-il.
L’application s’appuie sur la technologie Bluetooth, qui permet à nos smartphones d’identifier des appareils à proximité (écouteurs, enceintes, imprimantes…), et non le recueil de données de géolocalisation. « Elle retracera l’historique des relations sociales qui ont eu lieu dans les jours précédents, sans permettre aucune consultation extérieure, ni transmettre aucune donnée », selon Cédric O. Les données seront « anonymisées » et leur utilisation compatible avec le droit européen sur les données personnelles, selon Olivier Véran. « Personne n’aura accès à la liste des personnes contaminées, et il sera impossible de savoir qui a contaminé qui » assure-t-il.
Pour le patron de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, une telle application « ne sert à rien si tout le monde n’est pas testé, ça ne sert à rien si tout le monde n’a pas un téléphone portable ». En France, près de 8 Français sur 10 possèdent un smartphone équipé d’un capteur Bluetooth, selon l’ancien secrétaire d’État au numérique Mounir Mahjoubi. Mais il existe une « fracture numérique » dans le pays, notamment chez les personnes âgées, personnes les plus vulnérables au coronavirus.
Le but : « éviter une seconde vague »
Si ce dispositif est mis en œuvre, il doit l’être pour une « durée limitée » et il faut s’assurer du « consentement libre et éclairé » de l’utilisateur, a pour sa part insisté Marie-Laure Denis, présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le gendarme de la protection des données privées. « Le fait de refuser (de l’installer) ne doit avoir aucune conséquence », a-t-elle affirmé lors d’une audition par visioconférence par les députés de la commission des Lois.
Les travaux de développement de l’application sont menés par l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) dans le cadre d’un projet européen (PEPP-PT) mené en coopération avec l’Allemagne et la Suisse. Le système ne fonctionnant qu’entre personnes ayant téléchargé l’application, il faudra atteindre une masse critique suffisante. Selon une étude de l’université britannique d’Oxford publiée dans la revue Science, une telle application peut aider à enrayer la propagation du virus à condition d’être utilisée par 60% de la population.
L’enjeu est d' »éviter une seconde vague », a expliqué aux députés de la Commission des Lois Simon Cauchemez, expert en modélisation des maladies infectieuses à l’Institut Pasteur. Mais « il ne va pas y avoir de solution miracle et l’outil numérique ne va pas être LA solution qui va faire qu’on va pouvoir tout relâcher », a-t-il prévenu, appelant à une « stratégie combinée » mêlant tests sérologiques massifs, enquêtes épidémiologiques sur le terrain et recours à un tel outil numérique. « C’est quelque chose qu’on ne peut pas juste mettre de côté car l’alternative c’est d’enchaîner les confinements ou alors de laisser filer et de se retrouver avec une crise majeure », a-t-il jugé.
Singapour a recours à ce système, qu’elle a baptisé Trace Together : une application lancée le 20 mars y avait été téléchargée un million de fois au 1er avril pour une population totale dans la ville-État de 5,7 millions de personnes. Mais la hausse des cas ces dernières semaines a depuis poussé Singapour à également fermer écoles et lieux de travail et à placer près de 20 000 travailleurs migrants en quarantaine.
Dans une tribune publiée par Le Figaro, 15 députés, essentiellement des rangs LREM, font part de leur opposition à une telle application qui pose un « dilemme moral » et n’est selon eux « pas gage d’efficacité » car « la technologie Bluetooth n’est pas encore suffisamment précise ».
AFP/LQ