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[Magazine] Religieux ou marins : des confinés expérimentés


"On s'aperçoit, avec ce temps de confinement, que notre vie monastique est d'une actualité impressionnante!", affirment plusieurs soeurs auteurs d'une vidéo sur YouTube (photo : Patrick Rouzet).

Depuis des siècles, des moines et des religieuses mènent dans des monastères ou des couvents une existence « cloîtrée », qui est toutefois minutieusement rythmée et organisée pour tenir dans la durée. Pour les marins, la musique est différente : le confinement en mer, c’est dur, mais au moins l’ont-ils choisi.

Alors que le confinement commence  à peser sur les corps et les esprits, quelques religieux livrent leurs suggestions. « On s’aperçoit, avec ce temps de confinement, que notre vie monastique est d’une actualité impressionnante! », affirment les soeurs Anne, Diane et Béatrice, de l’abbaye de Boulaur Sainte-Marie (Gers). Ces cisterciennes viennent de réaliser une vidéo, diffusée sur YouTube (120 000 vues en deux jours) et intitulée « Rester cloîtré, des spécialistes vous conseillent ». « On a une petite expérience » sur le sujet, disent-elles.

Premier conseil et peut-être le plus important : « se fixer des horaires et alterner, entre (…) travail manuel, intellectuel, moments de solitude (et) temps communs avec d’autres », soulignent-elles. Frère Luc, bénédictin à l’abbaye de « Sainte-Marie de la Pierre qui vire » (Yonne), abonde : « Nous avons de la chance car notre temps est d’abord structuré par les offices », avec « sept temps de prières » en 24 heures. S’ajoutent « des temps de travail (pour le magasin), les cours donnés, les tâches de la vie quotidienne (cuisine, linge…) ». Une alternance « très fructueuse, entre activités et pauses, ainsi que temps de rencontre, et temps personnels », selon lui.

Des lieux communs et des lieux privés

« En Occident, depuis le VIe siècle, la principale règle du monachisme est celle de saint Benoît, qui donne naissance à l’ordre bénédictin. Dans cette règle, il y a en quelque sorte les « trois huit » : la prière, l’étude et le travail manuel », confirme Dominique Poirel, directeur de recherche au CNRS et directeur de l’Institut d’études médiévales de l’Institut catholique de Paris.  « Tous (les religieux) ont une journée très structurée ». Et connaissent « cette dialectique entre solitude et vie en commun », dit-il.

« Les monastères aussi sont bien organisés. C’est étudié car on sait qu’on est là pour tout le temps », observe frère Luc. « Il y a des lieux pour la vie commune – le réfectoire, le chapitre – et des lieux privés comme la cellule. C’est structurant », ajoute-t-il. Le cloître, souvent au centre, est un lieu de circulation. « Je conseillerais d’essayer de se préserver des espaces d’intimité et d’autres de vie commune. Et si on peut marcher quelque part, c’est toujours bien aussi. »

Le dimanche, on ne travaille pas, on n’est pas dans son bureau, suggèrent aussi les soeurs de l’abbaye de Boulaur, qui conseillent aussi tout simplement de « soigner son intérieur ». « C’est important de se repérer, pas simplement par rapport à la journée, mais à la semaine passée, ou en fonction des saisons », explique soeur Anne. « Nous fêtons les saints, les anniversaires. J’essaie de noter des choses réalisées au cours de la semaine ».

«Se donner du temps pour se retrouver»

Même s’il est imposé, le confinement peut être l’occasion de « faire une halte. Se donner du temps pour se retrouver. Voir dans quelle direction aller, que l’on soit croyant ou pas. À l’année, beaucoup de gens nous disent désirer prendre un temps de retraite. Là, c’est l’occasion de la faire! », souligne soeur Anne.

M. Poirel rappelle que « chez les bénédictins, dans la journée, il y a la récréation. Des moments de causeries. Au chapitre, on peut régler les aspects de la vie en commun, c’est là qu’on peut se demander pardon entre frères quand il y a eu un différend ».

« Il faut des moments pour se détendre aussi », souligne Frère Luc. « Un dimanche soir, des frères plus jeunes avaient organisé un quiz musical, ils ont intitulé ça « surprise contre la morosité », on a beaucoup ri ».

LQ/AFP

En mer, le confinement est un «choix délibéré»

Transat_Jacques_Vabre_2013_-_Michel_Desjoyeaux_05Michel Desjoyeaux, marin d’exception, ne voient pas de comparaison possible entre la période de confinement imposée pour lutter contre la pandémie de Covid-19 et leur vie en solitaire lors d’une course au large. « On est physiquement isolé, certes, mais on n’est pas dans la solitude parce qu’il y a plein de gens qui s’intéressent à nous. Aujourd’hui, les gens sont plus dans l’isolement que nous quand on est dans les mers du Sud dans un bateau de 10 m. C’est un choix délibéré alors que, là, (le confinement) c’est un choix qu’on subit », explique  Michel Desjoyeaux. Il est le seul navigateur à avoir remporté deux fois (2001 et 2009) le Vendée Globe, course autour du monde en solitaire. « En mer, tu ne peux pas aller te promener, tu ne peux pas aller faire tes courses, tu bouffes ce que t’as…» « Et là, à terre, je suis très content d’avoir une douche et un frigo! »

Samantha_DaviesLa Britannique Samantha Davies tient le même discours. Elle s’apprête à prendre le départ en novembre de son troisième Vendée Globe, à bord d’un monocoque (Initiatives-Cœur). « On a choisi d’être là (en mer), c’est dur de comparer les deux. Sur un bateau du Vendée Globe, la zone de vie et le cockpit, c’est seulement 4 mètres carrés. Il y a plein de moments où on ne marche pas du tout, on ne tient pas debout, c’est le problème sur le Vendée Globe, tu n’as plus de jambes. À terre tu peux faire des squats, mais pas sur un bateau qui bouge! Et il n’y a pas de chauffage, pas de 4G ni de wi-fi, mais par contre, on s’y prépare », dit la navigatrice, « coincée » en famille à la maison. Reste aussi que quand on est seul en mer, on peut se laisser aller à vivre toutes les émotions sans se soucier d’autrui.

 LQ/AFP