Francesco Lettieri fait des débuts plutôt fracassants dans le cinéma avec un premier long métrage, Ultras, qui prend pour décor la Naples des hooligans.
Entre le stade San Paolo et le bord de mer, on suit Sandro (Aniello Arena), qui a passé le plus clair de sa vie dans les stades de foot d’Italie pour soutenir Naples, «son» équipe, au sein du groupe d’ultras qu’il a fondé avec d’autres supporters plusieurs décennies auparavant. Mais à 50 ans, il voit le groupe changer et des rapports de force sont créés entre Sandro et les autres «anciens» et une nouvelle génération de hooligans, plus violents.
Réalisateur de plus de 60 clips vidéo, pour des artistes tels que K-Conjog, Calcutta ou encore Xenia Rubinos, Lettieri, originaire de Naples, a déjà marié les esthétiques du football et du quotidien des quartiers populaires de Naples dans quelques-uns de ses travaux précédents. Avec Ultras, le réalisateur et scénariste raconte le groupe à travers le conflit générationnel qui risque de le mener à sa perte, et le film, très justement, s’attache à la figure quelque peu providentielle, parfois presque christique, de Sandro, chef des anciens, mais dont le protégé, Angelo (Ciro Nacca), affecté par la mort de son frère, se range du côté des rebelles.
Le lien entre deux mondes
Ainsi, Sandro, lui-même miné par ses propres démons, est le lien entre deux mondes qui se distinguent par leurs modes de vie respectifs, la musique qu’ils écoutent, leurs occupations, leurs motos et leur manière d’appréhender les relations sociales. Quand les anciens parlent de respect, les plus jeunes répondent en se considérant «une armée qui défend son équipe, sa ville, ses traditions». C’est une grande force du scénario de Lettieri, qui analyse ces problèmes d’appartenance à un groupe comme s’il s’agissait de l’opposition, très actuelle, entre religion (et l’on sait à quel point le foot est une religion, à Naples) et fanatisme.
Au cours de sa seconde heure, Ultras s’intéresse de plus près à ses personnages et à leur évolution individuelle. C’est là que, fâcheusement, le traitement de l’histoire s’affaiblit, car le film se retrouve pris dans l’engrenage, obligatoire, de la narration pure, et n’émet donc plus aucun commentaire, un élément pourtant essentiel du script dans la première moitié du film. Ne reste plus comme motivation que les interprétations de ses acteurs qui, il faut bien le dire, sont tous plus impressionnants les uns que les autres – en particulier Aniello Arena, ancien membre de la Camorra devenu acteur à sa sortie de prison, après sa rencontre avec le réalisateur de Gomorra, Matteo Garrone – dans des rôles qui gagnent toujours plus en intensité au fur et à mesure de la progression, irrémédiablement fataliste, de la trame.
Le film souffre peut-être aussi de sortir dans une période de véritable «Roberto Saviano exploitation», avec des adaptations cinématographiques ou télévisuelles tirées ou inspirées du célèbre auteur qui sortent à toutes les sauces en se ressemblant inlassablement. Mais jamais le mot «camorra» n’est prononcé et jamais le fantôme de la mafia ne plane au-dessus des personnages; le seul policier, d’ailleurs, est toujours vissé sur la même chaise dans son bureau vide et immaculé, comme s’il passait ses semaines à attendre chaque jour de match pour faire signer à Sandro son attestation, ajoutant une figure inattendue à la grande galerie de «losers» du film.
Netflix, diffuseur exclusif du film, semble trouver un nouvel intérêt dans les histoires de football, mais avec les séries Maradona au Mexique et The English Game, la plateforme choisit des angles plus inhabituels et intéressants qu’Amazon Prime Video qui, elle, ne s’intéresse guère qu’au sport de façon la plus stricte, et dans des programmes assez lisses… Francesco Lettieri réussit ici un film fort, dans un style proche du clip (une véritable école pour toute une génération de cinéastes italiens) qui lorgne parfois du côté du cinéma-vérité comme héritage lointain du néoréalisme d’après-guerre, mais qui, le plus souvent, cherche, dans son décor réel comme dans son histoire, la beauté et la justesse.
Valentin Maniglia
Ultras, de Francesco Lettieri.