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Trois frontières : petit instantané d’un quotidien bouleversé


Les rayons se vident à grande vitesse dans certains supermarchés de Perl. (Photo Geneviève Montaigu)

Schengen et sa région frontalière forment une zone commerciale animée. Ici, le coronavirus est sur toutes les lèvres et ses conséquences visibles dans tous les rayons.

Il est 14 h, jeudi, dans un restaurant de la région de Schengen, aux trois frontières, carrefour international et boulevard royal pour le coronavirus qui est parvenu à bouleverser le quotidien de chacun d’entre nous. La gérante boit un grand verre d’eau, c’est la fin du service qui cette fois ne l’a pas exténuée. «C’est la chute libre, à peine une dizaine de couverts à midi», constate amèrement la restauratrice habituée à un rythme nettement plus élevé.

Pour samedi, elle a deux groupes prévus, soit une centaine de couverts. «Je n’ai pas encore reçu de nouvelles, ils vont peut-être annuler leur sortie ou la moitié d’entre eux, je ne sais pas», admet-elle. Le barman termine son service de midi, saisit sa veste et s’en va prendre sa pause. La patronne le rappelle pour lui dire qu’il est inutile qu’il revienne le soir, elle pourra assurer seule le service.

Les derniers clients quittent le restaurant. Un couple de personnes âgées s’arrête pour discuter encore quelques minutes avec la restauratrice, lui dire qu’ils compatissent face à ce marasme, mais que «tout ça c’est la faute des médias qui créent la panique», dira le monsieur, alors que madame placera la barre un cran plus haut : «Ce coronavirus, c’est fait exprès pour diminuer la population mondiale parce qu’on est trop nombreux sur Terre.» Tout va bien.

«Tout le monde a sa petite histoire du coronavirus»

Le barman qui s’apprête à partir nous indique que sa tante qui habite à Bibiche, petite commune située en Moselle-Est, n’a pas pu aller travailler hier matin à Sarrelouis. Non pas que les Allemands aient fermé la frontière, c’est le magasin qui l’emploie qui a fermé ses portes pour quinze jours au moins. «Tout le monde a sa petite histoire du coronavirus, c’est le sujet de toutes les conversations», observe la gérante du restaurant.

En face de Schengen, à Perl, la zone commerciale accueille les clients habituels des trois frontières. Français, Allemands et Luxembourgeois se croisent dans les allées des enseignes discount qui s’alignent sur deux routes parallèles. C’est ici que convergent toute la population de ce petit laboratoire européen pour faire le plein de produits dans une célèbre droguerie aux prix cassés.

«C’est la guerre !»

Pas la peine de chercher de solutions hydroalcooliques. Les rayons sont vides et la direction y a planté un panneau informant ses «chers clients» qu’elle fait le nécessaire pour se réapprovisionner. Le désormais très fréquenté rayon «papiers de toilette» fait grise mine. Quelques paquets s’y battent en duel, donc pas encore de pénurie. Mais des restrictions. Pas plus que trois gros volumes par personne.

À la caisse, deux employées sont en discussion. «Tu sais combien de boîtes de lait on autorise par personne?», questionne la première à l’oreille de sa collègue. «Il faut que la maman puisse avoir un stock pour deux semaines», lui répond la seconde. Le lait maternisé est lui aussi rationné.

«C’est la guerre!», lâche un Luxembourgeois au rayon frais d’un supermarché discount situé à un jet de pierre de la droguerie. Là aussi, on croise du monde au beau milieu de l’après-midi. Les chariots sont remplis de produits de première nécessité. Les paquets de sucre, de farine, les sacs de pommes de terre et conserves s’entassent sur les tapis aux caisses. Pas beaucoup de pâtes. «Les rayons étaient vides et quand ils sont arrivés avec les palettes, ils n’ont pas eu le temps de les placer en rayons, les clients se sont rués dessus», témoigne une Luxembourgeoise. «C’est la guerre!», répète le même jeune homme.

«C’est le vide depuis deux semaines»

Plantée en bordure du parking d’un supermarché, une agence de voyages LuxairTours a momentanément cessé de faire rêver le chaland. Deux employées installées derrière leur ordinateur fixent des chaises vides en face d’elles, affichant un petit sourire de tristesse mêlée de fatalité. «C’est le vide depuis deux semaines», témoigne l’une d’elles. Elles ne font plus de réservations mais des annulations à tour de bras. Les vacances de Pâques tombent à l’eau et ceux qui hésitent encore ont encore quelques jours pour se décider.

«Beaucoup ne savent pas ce qu’ils doivent faire : annuler, reporter ou bien partir quand même. Cela dépend de la destination. Pour les États-Unis, c’est terminé en tout cas», ajoute-t-elle.

Si les aéroports se désertifient, les zones commerciales de Schengen et de Perl sont encore bien fréquentées, tout comme les stations-services, qui ne connaissent pas de répit. En revanche, la maison communale de Schengen, elle, se retrouve portes closes. Un de ses employés a été testé positif, seules les urgences y sont traitées par téléphone.

Dans le même temps, la liste des fermetures des administrations ou services publics n’a cessé de grossir au même rythme que les annulations d’événements petits ou grands. Les hôpitaux redoublent de vigilance et renforcent les contrôles. Le pays s’apprêterait-il vraiment à vivre sous cloche? À observer le quotidien d’une région à trois frontières, on se demande bien comment il faudrait s’y prendre.

Geneviève Montaigu

 

Les résidents sont inquiets

L’institut TNS Ilres a publié jeudi un sondage réalisé auprès de 986 résidents à propos de leur crainte d’une propagation du coronavirus : 6 résidents sur 10 étaient inquiets (59% des sondés). Ce sondage a été réalisé les 10 et 11 mars : il est probable que les chiffres soient encore plus prononcés maintenant.

Autre donnée importante : la moitié des résidents interrogés étaient inquiets «pour eux ou pour leur famille» (48%), indique TNS Ilres. Près de la moitié des résidents estiment que le Luxembourg n’est pas prêt à affronter le virus (33% pour «plutôt pas prêt» et 16% pour «pas du tout prêt»).

Trois quarts des résidents ont le sentiment d’être en revanche bien informés (76% des sondés), même si seuls 24% estiment que le gouvernement «communique de façon claire». La critique est sévère quand on sait que le site santé.lu est mis à jour en temps réel.

Selon le sondage toujours, on trouve même 48% des intéressés qui pensent que «le gouvernement cache certaines informations»…