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«Il n’y a pas que les frontaliers sur la route»


L'incohérence des axes routiers transfrontaliers participe directement aux bouchons (Photo d'illlustration : Isabella Finzi).

l’Agence d’urbanisme de Lorraine Nord (Agape), dont les études sont scrutées à la loupe au Grand-Duché, sort une nouvelle publication. Où l’on observe comment Luxembourgeois, Belges et Français travaillent sur la mobilité… chacun de leur côté.

«Mobilité transfrontalière : une réalité qui diffère des documents stratégiques ?». Le titre de votre nouvelle étude est évocateur… Je peux le traduire par « On est bloqués dans les bouchons ou dans les trains malgré tous les beaux discours politiques » ?
Michaël Vollot, chercheur à l’Agape : Traduisez-le comme vous voulez ! Je préfère expliquer le contexte de cette étude. Au départ, il y a une réflexion entre chercheurs à l’Agape : il existe tellement de « documents stratégiques » sur la mobilité en Grande Région… Et si on étudiait ce qui a été réalisé concrètement et ce qui n’a pas marché?

Quels genres d’exemples vous ont mis la puce à l’oreille ?
Il y a ce que tout le monde voit : les bouchons, les trains bondés, les frontaliers comme les résidents luxembourgeois qui sont touchés. La colère dans les réseaux sociaux aussi… Dans l’introduction du document, nous reprenons les hashtags des usagers du train sur Twitter : #Sardines (NDLR : les trains Metz-Luxembourg aux heures de pointe) et #BlackFriday (NDLR : quand le poste d’aiguillage de Bettembourg plante avant le week-end).

Et puis, il y a les exemples plus techniques. Prenez le doublement des voies de train entre Rodange et Longwy. Le document stratégique lorrain (« SMOT 2010 ») prévoyait une réalisation des travaux à l’horizon 2015. Le document stratégique luxembourgeois (« Modu 1 ») prévoyait les mêmes travaux… après 2030! Cette jonction n’est toujours pas effective.
Un autre exemple. Alors que les documents stratégiques sont nombreux, la région wallonne a sorti de nulle part l’idée de faire une voie de covoiturage sur l’E411 en 2019 (Arlon-Luxembourg). Ce projet n’était inscrit sur aucun document. Du coup, les Luxembourgeois n’ont pas fait la jonction de leur côté pour le moment. Et on n’a fait que déplacer un goulot d’étranglement.

Michael Vollot (Photo : Statec, Luc Kohnen).

Michael Vollot (Photo : Statec, Luc Kohnen).

Nous avons croisé tous les projets…

À gros traits, l’étude distingue le bilan des aménagements routiers et le bilan ferroviaire. Sur la route, ce n’est pas fameux…
Nous avons croisé tous les projets à court terme contenus dans les documents belges, français et luxembourgeois. Très peu ont été réalisés en entier. Il y a des projets lancés, d’autres en cours de réalisation, d’autres sont confirmés »… mais réalisés, c’est rare. Il y a toutefois quelques belles exceptions. Le contournement de Micheville-Belval par exemple : il devait être achevé en 2020 au départ, et il a été inauguré dès 2016. Et parfois, il y a des surprises que l’on n’attend pas. Les Belges ont été très rapides pour faire leur voie de covoiturage non prévue!

Le contournement de Belval, on ne peut pas dire que ce soit une franche réussite. Il n’y a aucune liaison avec l’A30 du côté français, et la liaison avec l’A4 luxembourgeoise est complexe.
Ça, c’est un autre débat. On peut s’interroger sur la cohérence d’avoir fait un contournement avant de faire les liaisons. Mais le calendrier des travaux était prévu comme ça.

Sur la route, l’Agape a le mérite de mettre en lumière une dimension souvent minorée : le trafic des camions, avec le développement à marche forcée de la logistique et des zones commerciales.
Les frontaliers ne sont pas seuls sur la route. C’est assez vertigineux de se dire qu’ils seront probablement 50 000 de plus du côté français d’ici 2035. Mais il y a aussi tous les camions qui repartent des ports secs d’Aubange, de Bettembourg, de la Moselle, etc. J’y ajoute encore les surfaces commerciales qui poussent comme des champignons, et qu’il faut bien livrer. Près de 350 000 m2 de surfaces commerciales sont en projet! Avec une A31 saturée (Metz-Luxembourg) et une A30 (Metz-Belgique) où le report de mobilité se fait déjà sentir, la situation est objectivement tendue. Je vais vous citer un exemple marquant : nous n’avons trouvé dans aucun projet l’idée d’élargir le tunnel de Neufchef/Hayange. Or celui-ci est le nouveau goulot d’étranglement depuis plusieurs mois aux heures de pointe… Qu’est-ce que ça va donner à l’avenir, a fortiori si l’A31 bis devient payante de l’autre côté? On peut s’interroger.

Sur le rail justement, vous êtes plus positif.
Le point fort, c’est une volonté politique au Luxembourg de booster le rail. Les investissements se comptent en milliards d’euros. Par ailleurs, en reprenant les documents de tous les acteurs aux trois frontières, la moitié des projets envisagés ont été réalisés. C’est un autre point fort.

Le bassin de Longwy-Athus-Pétange […] n’est pas toujours bien servi dans les arbitrages

Restent des points faibles aussi… Vous démontrez que la ligne Metz-Thionville-Luxembourg est saturée, et que les améliorations ne pourront se faire que lentement. Or c’est le long du Sillon mosellan (rive droite de Thionville, Amphithéâtre-Gare à Metz) que les plus gros projets immobiliers voient le jour !
C’est un paradoxe, oui. Le bassin de Longwy-Athus-Pétange pourrait offrir des capacités plus vastes pour mieux répartir les flux de frontaliers. Mais on ne peut pas dire qu’il soit toujours bien servi dans les arbitrages politiques à haut niveau. Le doublement du rail entre Rodange et la frontière? Reporté. La liaison ferroviaire Longwy-Belval? Supprimée. Les bus transfrontaliers Longwy-Luxembourg directs? Il y en a si peu par rapport aux bus qui partent depuis la Moselle. La mise aux normes de la RN52 (route qui contourne et dessert l’agglomération de Longwy)? Abandonnée. Il s’agissait au départ de tout un projet avec mise en 2×2 voies des tronçons manquants.

Longwy offre un cadre de vie bien plus attrayant qu'on veut le faire croire... et pourtant, les frontaliers continuent à s'installer massivement le long du Sillon mosellan, avec une A31 et une ligne de train saturée (Photo : Républicain Lorrain).

Longwy offre un cadre de vie bien plus attrayant qu’on veut le faire croire… et pourtant, les frontaliers continuent à s’installer massivement le long du sillon mosellan, avec une A31 et une ligne de train saturées (Photo : Républicain Lorrain).

Un P+R est malgré tout en construction près de la gare… Pourquoi Longwy apparaît comme le parent pauvre de l’aménagement transfrontalier ?
Les acteurs locaux n’ont pas la main sur ce genre de projets, qui relèvent d’échelons supérieurs. L’agglomération souffre de son image et peine à attirer des promoteurs qui investissent pour des gros projets immobiliers.

Se posera enfin la question des moyens d’investissement

Quelles sont les perspectives d’avenir en matière de mobilité transfrontalière ?
Je pourrais citer des projets, mais ce qui compte, par-dessus tout, c’est la capacité des acteurs à dépasser leur territoire. Nous sommes en retard par rapport à ce qui se fait à Copenhague, Genève ou Bâle en termes de transfrontalier. Il faut que chacun arrête de penser le développement territorial dans les limites de ses frontières. À Genève, le RER transfrontalier (Léman Express) a pu voir le jour grâce à des cofinancements, et à des entités nouvelles (NDLR : la ligne est gérée par une filiale franco-suisse). Prendre de la hauteur, c’est l’ambition de notre projet de modélisation de trafic transfrontalier, lancé en partenariat avec nos interlocuteurs luxembourgeois et belges en 2018 (projet MMUST). Pour le moment, les schémas directeurs sont soit trop petits, soit trop grands (NDLR : le schéma territorial de la Grande Région qui va jusqu’aux portes de Liège…)
Se posera enfin la question des moyens d’investissement des uns et des autres, et des choix politiques qu’il faudra faire encore. Même reliés de façon optimale, des bassins de vie aux capacités d’investissement relativement faibles n’attireront pas les quotas de population qu’il faudrait envisager dans le cadre d’un Grand Luxembourg.

Entretien avec Hubert Gamelon

exploratoire

L’Agape, très écoutée au Grand-Duché

L’Agence d’urbanisme et de développement durable de Lorraine Nord, implantée à Longwy, est une structure d’aide à la décision politique sur les questions d’aménagement urbain. Qu’il s’agisse d’environnement, de démographie, de mobilité… et bien sûr, de transfrontalier. L’Agape est très écoutée au Luxembourg. En témoigne le dernier document du Conseil économique et social du Luxembourg, qui prend directement appui sur les prospections de l’agence pour fonder ses réflexions transfrontalières.

Un commentaire

  1. L’europe vous prescrit la courbure des concombres que vous mangez mais n’est pas fichue de coordonner quatre pays entre eux pour améliorer la fluidité (actuellement la prise en masse) des transports dans un petit coin d’europe