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Anita Dongre, la couturière indienne féministe et écolo


Anita Dongre : "C'est important pour moi de montrer une femme qui ne soit ni pudique ni réservée, quelqu'un d'audacieux et culotté." (Photo : AFP).

Elle s’est battue pour promouvoir la femme forte et indépendante dans une société dominée par les hommes. La couturière indienne Anita Dongre, dont la marque se porte de Delhi à New York, met désormais sa réussite et sa ténacité de féministe au service de l’écologie.

Lorsqu’Anita Dongre s’est lancée à l’âge de 23 ans, elle était la première femme de sa famille à travailler. Sa société se résumait à deux machines à coudre et deux tailleurs hommes installés sur le balcon de la chambre qu’elle partageait avec ses soeurs. Aujourd’hui, cette business-woman de 56 ans, sourire chaleureux et cheveux bruns sur les épaules, est à la tête d’une société au chiffre d’affaires annuel de 105 millions de dollars, qui compte des magasins en Inde et à New York et emploie 2.700 personnes. Les valeurs féministes sont au coeur de sa marque. « C’est important pour moi de montrer une femme qui ne soit ni pudique ni réservée, quelqu’un d’audacieux et culotté. J’étais ce type de fille. Je conduisais une jeep, j’ai demandé mon époux en mariage », dit-elle en recevant dans son usine en périphérie de Bombay.

Ses vêtements ont toujours été adaptés à toutes sortes de tailles, jusqu’au XXL. Même lorsqu’elle s’est aventurée dans la garde-robe de mariage, ses campagnes de publicité défiaient les normes conservatrices indiennes en montrant des femmes tatouées, buvant du vin ou payant elle-même pour leur mariage. Important aussi pour elle d’aider des femmes à s’émanciper, ces ouvrières qu’elle emploie dans son usine « en qui (elle) retrouve son parcours » ou bien ces quelque 250 villageoises de l’Inde rurale qu’elle forme à travers une fondation. « L’indépendance économique est le seul moyen par lequel une femme peut s’affirmer », assure-t-elle. Sa décision de viser la femme active urbaine a porté ses fruits, le pouvoir d’achat des femmes augmentant en Inde.

« Lorsqu’une cliente me dit ‘j’ai porté votre veste à mon premier entretien d’embauche il y a quinze ans et j’ai eu le poste’, c’est exaltant ». Ses vêtements – sari ou jupe longue et choli (petite blouse) aux couleurs chatoyantes de style traditionnel ou retravaillés à la mode occidentale -, ont été portés par des célébrités mondiales comme Hillary Clinton, Kate Middleton ou Beyoncé. Cette expérience, cette détermination, cette notoriété, elle a décidé de les mettre au service de l’environnement, dans ce pays qui selon un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2018 compte 14 des 15 villes les plus polluées du monde. Son ambition ? Faire de sa société un modèle d’écologie.

« Les entreprises ne peuvent plus être seulement guidées par le profit »

(Photo : AFP).

(Photo : AFP).

« Les entreprises ne peuvent plus être seulement guidées par le profit », dit-elle. Anita Dongre ambitionne de réduire le plus possible l’empreinte environnementale de son activité, en recourant au maximum à des énergies renouvelables, au recyclage et en offrant des produits durables. Deux de ses marques aux prix plus abordables, AND et Global Desi, utilisent par exemple des tissus à base de lyocell, une fibre biodégradable tirée de pulpe de bois. La femme d’affaires, végane, refuse toute utilisation de cuir dans ses vêtements, accessoires et chaussures. Dans son usine, les restes de repas de la cafétéria exclusivement végétarienne sont compostés ou utilisés pour produire du biogaz. L’eau consommée dans le processus de fabrication des vêtements est traitée et réinjectée dans les salles de bain. À force d’acharnement, elle espère convaincre les consommateurs de changer leurs habitudes, de privilégier une mode lente et éco-responsable aux satisfactions immédiates procurées par la « fast fashion ». L’air du temps est avec elle. Lorsqu’elle a commencé à parler il y a une dizaine d’années d’écologie dans son secteur, peu de personnes prêtaient attention.

Aujourd’hui, « je suis heureuse que ça soit enfin à la mode d’être écolo », s’amuse-t-elle. Elle est la seule designeuse indienne à avoir rejoint la Sustainable Apparel Coalition, une association d’entreprises du monde du textile qui fournit à ses membres des outils pour mesurer les conséquences de leur activité économique sur la planète. Alors que l’environnement est devenu un sujet de discussion quotidien dans la société, les entreprises risquent de procéder à un simple écoblanchiment (« greenwashing ») pour leur image de marque, s’inquiète la couturière: « Vous ne pouvez pas prendre un tissu écolo, le couvrir de sequins en plastique, et toujours l’appeler écolo ». « Parfois je rêve de ne plus avoir à m’occuper du design pour me concentrer à plein temps sur la durabilité », affirme-t-elle. « Nous sommes à court de temps. Le changement climatique est là et nous devons tous faire quelque chose ».

AFP