Maxime Le Forestier, sa guitare et sa poésie sont toujours vaillants après cinquante années de carrière. Des tubes éternels aux remises en question, le chanteur se confie au Quotidien avant un concert à Mondorf début février.
Il est l’homme de nombreux tubes (San Francisco, Né quelque part, Mon Frère, Parachutiste…) et continue, du haut de ses 70 ans, à enchanter le public avec son sourire, sa guitare et ses chansons. En 2019 paraissait un seizième album, orchestré par son fils Arthur. L’occasion de parler du passé, mais aussi du futur, avec un artiste majeur de la chanson française.
L’année dernière, vous avez sorti Paraître ou ne pas être. Derrière ce titre était-ce, justement, un album pour exister à nouveau ?
C’est un fait, mais un auteur-compositeur, pendant qu’il écrit, n’existe plus aux yeux du public, des médias… À un moment, il faut bien se montrer. Donc, il faut paraître. Et me voilà, encore une fois!
Se sentir à nouveau apprécié du public, remplir les salles… Ça vous fait quoi ?
C’est que du bonheur ! Ça veut dire que mes chansons ont atteint une partie de leur but, ce qui n’est pas négligeable. Oui, c’est jouissif ! Surtout que ça m’est arrivé, dans ma vie, de jouer devant des demi-salles. Après, que l’on se mette en scène devant 500 personnes ou 2 000, le fond du métier est toujours là : on joue pareil. Mon plaisir de faire de la musique reste intact.
Je suis franchement incapable de faire autre chose que de la musique
En cinquante années de carrière, avez-vous toutefois pensé un jour à arrêter tout ça ?
Jamais vraiment. Au milieu des années 80, quand ma carrière a connu un creux, ça aurait peut-être été raisonnable d’arrêter, mais pour faire quoi ? Je suis franchement incapable de faire autre chose. À l’époque, des copains ont essayé de me brancher sur la publicité, par exemple, mais je ne comprenais rien à ce qu’ils racontaient (il rit). Non, mon truc, ça a toujours été d’écrire des chansons et de les chanter.
Paraître ou ne pas être est votre seizième album. Si on les met bout à bout, peut-on y trouver des similitudes ? Bref, y a-t-il un son Le Forestier ?
Non. D’abord, il y a plusieurs périodes. Ensuite, ça dépend des musiciens avec lesquels j’ai travaillé. Le son Sabar n’est pas le même que le son Caratini. Finalement, le seul fil conducteur, ça reste la voix, car même dans l’écriture, j’ai évolué. Comme je n’écris jamais durant une tournée, je dois tout le temps réapprendre le geste. Ça m’a clairement aidé à me développer.
Sur ce disque, la guitare reprend une place de choix. Est-ce l’instrument d’une vie ?
Ah oui ! C’est ma vieille compagne. C’est un instrument portatif qui a le même volume que la voix. Ça peut sonner sans le moindre micro. Et vous ne m’avez jamais entendu jouer du piano (il rit).
Vous avez toujours été un chanteur bien ancré dans le monde et sensible à ses changements. Comment vous sentez-vous dans cette époque ?
Comme dans les autres ! Il y a des choses que je comprends, d’autres moins. Disons que je ne juge pas comme à l’époque, quand j’avais 25 ans. Avec l’âge, on a une vision moins manichéenne : tout n’est plus noir ou blanc. C’est plutôt une grosse zone grise. Tout est nuancé.
Dans le même sens, le métier, comment l’appréhendez-vous aujourd’hui ?
C’est sûr, il a vécu des séismes considérables ces dernières années. La forme a changé, la façon de produire, de diffuser… Mais au bout du compte, les gens auront toujours besoin de chansons, de musique populaire. Qu’il y ait des mélodies ou pas, des machines, des instruments du Moyen Âge, c’est du détail.
Êtes-vous nostalgique ?
J’adore quand la nostalgie est chantée par Brassens ou Souchon, mais ce n’est pas un sentiment avec lequel j’aime vivre, que j’aime ressentir. Je vois ça comme du temps perdu qui, comme le chantait Barbara, ne se rattrape plus.
J’écris non pas pour avoir quelque chose à dire, mais pour avoir quelque chose à chanter
Quels rapports entretenez-vous avec vos anciens tubes que le public réclame à chaque concert ?
Évidemment que le public attend les chansons qu’il aime. Mais j’ai la faiblesse de penser que les gens qui viennent me voir veulent aussi entendre de nouveaux morceaux. Brassens avait l’habitude de dire : « Mon public a du talent. » Je crois que c’est un peu pareil pour moi. Je ne sais pas ce que ça donnerait si je me contentais de faire mes tubes sur scène. À mon avis, une grosse partie des gens seraient insatisfaits.
Néanmoins, êtes-vous toujours étonné du pouvoir d’une chanson populaire ?
C’est phénoménal, inexplicable. Et fabuleux ! Surtout qu’on ne sait pas ce que les gens ont vécu sur les chansons. C’est une relation à sens unique. Quand quelqu’un me croise dans la rue et me dit bonjour avec un petit sourire, je ne sais pas ce qu’il a derrière la tête, si j’évoque chez lui un souvenir bien particulier. Et tout est envisageable (il rit).
Après 50 ans de chansons, est-on aussi à l’aise avec le procédé de l’écriture ?
Pour moi, écrire, ça a toujours été quelque chose de difficile. Je me suis toujours demandé pourquoi et j’ai trouvé la réponse à ça il y a quelques années en me disant que j’écris non pas pour avoir quelque chose à dire, mais pour avoir quelque chose à chanter, ce qui n’est pas simple.
C’est une belle parade…
(Il coupe) Non, pas du tout. En dehors de commandes que l’on me passe, l’essentiel de ce que j’écris est pour moi. Et si je n’avais pas le besoin d’aller chanter sur scène, je pense que je n’écrirai pas.
Sur votre dernier disque, Arthur, votre deuxième fils, s’est imposé comme un soutien total. Est-ce un passage de relais ?
Avec les enfants, la transmission est quelque chose d’inconscient, un peu comme s’ils nous voyaient tout le temps de dos. Ils regardent ce qu’on ne leur montre pas, et ce qu’on leur transmet n’est pas nécessairement ce que l’on aurait voulu.
Travailler avec son fils, c’est comment ?
C’est très étrange. Il connaît mes chansons mieux que moi-même et il a ses idées sur comment elles doivent être accompagnées. Il lui arrive de détester des musiciens qui, selon lui, n’auraient pas été à la hauteur. Il a ses envies, son style. Son caractère aussi (il rit).
Vous vous reconnaissez en lui ?
Oui, on a plein de choses en commun.
Entretien avec Grégory Cimatti
Casino 2000 – Mondorf-les-Bains.
Le mercredi 5 février à 20 h.
Support : Arthur Le Forestier & Bruno Guglielmi