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Taux du Livret A : l’éternel dilemme entre économie et politique


Bruno Le Maire devra trancher en faveur ou non d'un taux à 0,5% pour le livret A. (Photo AFP)

La fixation du taux du livret A, que Bercy doit annoncer ce mois-ci, provoque toujours le débat entre les acteurs économiques et politiques. Pourquoi existe-t-il de telles dissensions ? Décryptage sur ce produit d’épargne star en France.

Crée en 1818, ce produit d’épargne, nominatif et non cumulable, est aujourd’hui détenu par 55 millions de Français qui, en 2018, ont placé au total 258 milliards d’euros. Avec des dépôts plafonnés à 22 950 euros, le livret A fonctionne comme une tirelire censée rapporter légèrement mais sûrement : l’épargnant peut déposer ou retirer son argent à tout moment, tout en voyant ses dépôts rémunérés et ses gains non imposés. Son cousin, le livret de développement durable et solidaire (LDDS) fonctionne de manière similaire avec un plafond de dépôt plus bas à 12 000 euros.

Le livret A sert aussi à financer l’aménagement du territoire, et notamment le logement social, au travers de la Caisse des dépôts (CDC) qui centralise une partie des dépôts des épargnants. Elle dispose ainsi de ressources pour octroyer des prêts aux différents acteurs (bailleurs sociaux, PME, collectivités). Mais au moment de la fixation du taux du livret A, les intérêts des épargnants et ceux de la politique publique, voire des banques, divergent.

Des intérêts divergents

Un taux élevé satisfait les épargnants mais crispe les banques qui rémunèrent les livrets ou les acteurs du logement social, dont les taux d’emprunt sont indexés sur celui du livret. Concrètement, un livret A mieux rémunéré signifie une hausse des taux d’emprunt pour ces derniers. Le taux du livret A suscite régulièrement des critiques. Son rendement réel, c’est-à-dire une fois l’inflation gommée, a été négatif à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale et dans les années 80, indique dans une note Philippe Crevel, économiste et directeur du centre d’études le Cercle de l’Épargne, consacré à l’épargne et à la retraite. Pour dépassionner le sujet, une formule de calcul a été instaurée dès 2004 avec pour objectif de préserver à la fois les épargnants et la politique publique. Pour y parvenir, la formule intégrait les taux du marché monétaire et le niveau d’inflation hors tabac. Cette formule ne s’applique toutefois pas de manière automatique et le gouvernement reste maître de la fixation du taux. Il s’est d’ailleurs régulièrement affranchi de cette formule de calcul, particulièrement après les crises financières de 2008 et 2011.

Modifiée en 2007, la formule change à nouveau en 2016, victime de la baisse des taux d’intérêt. Elle était alors « contestée tant par les banques, par les organismes de logements sociaux que par la BCE qui estim(aient) que le Livret A (était) trop bien rémunéré au regard de la situation qui préva(lait) sur les marchés monétaires », explique Philippe Crevel. Mais elle n’entrera finalement jamais en vigueur, comme prévu en août 2017. Le gouvernement d’Édouard Philippe décide plutôt de geler le taux à 0,75%, un plus bas historique, jusqu’au 30 janvier 2020, puis de refondre encore la formule. Désormais, un taux plancher de 0,5% a été introduit afin de garantir un minimum de rémunération aux épargnants en période de taux bas. Le nouveau calcul est basé sur la moyenne des taux d’intérêt à court terme et de l’inflation des six derniers mois. S’il était appliqué tel quel, le taux de rémunération du livret A devrait être ramené au 1er février à son niveau plancher, soit 0,5%. Sans ce niveau garanti, il pourrait même descendre bien plus bas.

Un taux à 0,5% ?

Depuis plusieurs semaines, les pronostics vont bon train à la faveur de l’inquiétude formulée depuis fin décembre par des députés de la majorité devant la perspective d’une nouvelle baisse du taux du livret A à 0,5%. La cause semble entendue pour le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, qui a affirmé mercredi ne pas voir de raison de déroger à cette nouvelle formule lors de son audition annuelle devant le Sénat. Sur la même ligne, le directeur de la Caisse des dépôts, Eric Lombard, s’était déjà exprimé dès septembre en faveur de la baisse à 0,5% du taux.

La balle est dans le camp du ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, qui devra trancher. « La nouvelle formule du taux du livret A fournira des ressources plus compétitives pour le logement social et plus en phase avec les ressources bancaires », défendait-il en octobre lors d’un colloque sur l’épargne à la Caisse des dépôts. Reste à savoir si la crise sociale liée à la réforme des retraites et à l’approche des élections municipales vont infléchir la position jusqu’ici claire du ministre.

AFP/LQ