Les médias belges n’ont (presque) d’yeux que pour lui. Remco Evenepoel (19 ans) jouit d’une cote hors norme dans un pays qui en a déjà fait le successeur d’Eddy Merckx.
À le croiser furtivement dans les couloirs de l’hôtel Suitopia, ce petit gars n’attire pas forcément le regard. Pourtant, du haut de son 1,71 m et de ses 61 kg, sa carrure est inversement proportionnelle à son statut. À 19 ans, Remco Evenepoel incarne l’espoir de tout un pays. Son nom revient inlassablement sur les lèvres des journalistes belges.
Son histoire semble sortir tout droit d’un conte de fées. D’une légende. Celle d’un jeune footballeur d’Anderlecht, international U16, passé du jour au lendemain au cyclisme avec une insolente réussite. En 2017, ses premiers coups de pédale marquent les esprits des suiveurs.
Un an plus tard, certains d’entre eux viennent entendre le phénomène fraîchement sacré aux Mondiaux juniors sur route d’Innsbruck. «Lors de sa conférence de presse, même le chef de la rubrique cyclisme de La Gazetta dello Sport était là. Quelque chose s’est passé…» Cette confidence est signée Stéphane Thirion. Journaliste cyclisme au journal Le Soir depuis 1999, il fut «sidéré par l’aisance avec laquelle ce gamin s’exprimait. Que ce soit en français, néerlandais ou anglais.» Au-delà de son élocution, son verbe séduit. «Il ne parle pas, il dit quelque chose. Il y a de la matière. Je ne dis pas que c’est quelque chose de rare dans l’univers du sportif de haut niveau, mais c’est appréciable», fait remarquer Christophe Vandegoor, journaliste chez Sporza. Remco Evenepoel pèse-t-il pour autant ses mots? Quand le jeune homme annonce qu’en cette année 2020 ses objectifs sont «Liège-Bastogne-Liège, les JO de Tokyo, un titre au Mondial et le Tour de Lombardie», ça interpelle. «Si on ne le connaissait pas, on aurait presque tendance à se demander : mais pour qui il se prend?»
Je n’ai jamais vu un coureur de son gabarit rouler aussi bien en contre-la-montre
Mais voilà, à écouter Christophe Vandegoor, le natif de Schepdael peut se le permettre. «Un autre verrait cette ambition lui être reprochée. On y verrait de la prétention. Or, de par sa façon d’être, son sourire et sa gentillesse, ce n’est pas le cas. D’ailleurs, sa popularité en Belgique a vite augmenté.» Cette cote, Remco Evenepoel la doit, évidemment, à ses performances, mais aussi à une forme d’emballement médiatique. «Les Belges n’ont pas leur pareil pour trouver de nouveaux Eddy Merckx. On l’avait trouvé en Fons De Wolf, Daniel Willems, Frank Vandenbroucke…», s’amuse Stéphane Thirion, tout en rappelant que le Cannibale lui-même a récemment déclaré qu’Evenepoel «est plus fort que (lui)». Cette comparaison ne date pas d’hier, mais de l’an dernier lorsque les médias la faisaient déjà ici même à Calpe, en présence du phénomène.
Cet engouement, Patrick Lefevere prenait soin de la tempérer, arguant que son poulain allait disputer sa première saison chez les pros. Pour le patron de Deceuninck Quick-Step, considéré par Evenepoel comme «son deuxième père», dixit Christophe Vandegoor, pas question de lui brûler les ailes. Celles-là même qui, aux Mondiaux d’Innsbruck, malgré une chute et deux minutes de retard, lui permirent de remonter seul tout un peloton et de s’imposer en solitaire. «Bon, des gars qui font des exploits chez les juniors, j’en ai vu 150, mais lui, c’est autre chose», assure un Stéphane Thirion admiratif : «Je n’ai jamais vu un coureur de son gabarit rouler aussi bien en contre-la-montre. Il dégage une telle puissance.»
«Ce qui est fou, c’est qu’on a l’impression qu’il ne force pas», ajoute Christophe Vandegoor marqué par son succès au Tour de Belgique et son numéro lors d’une 2e étape où Victor Campenaerts, recordman de l’heure, qui tentait de rester dans sa roue, partit à la faute dans un virage. «Ce jour-là, note Stéphane Thirion, il s’empare du maillot de leader et le défendra avec une grande maîtrise. Et même si c’est peut-être plus facile de le faire sous le maillot de la Quick-Step qu’avec un autre, c’est à souligner.». Tout comme son numéro dans la Clásica San Sebastián. «Lâché à 50 bornes de l’arrivée, il revient sur le groupe de tête, jauge ses adversaires et part seul à quinze kilomètres de l’arrivée pour l’emporter.» En 2020, Patrick Lefevere le dit lui-même, sa pépite ne «pourra pas compter sur l’effet de surprise». Alors, autant mettre cartes sur table d’emblée.
Vendredi matin, La Gazetta dello Sport venait de recueillir la confidence de Remco Evenepoel lui-même qu’il disputerait bien le Giro. De quoi susciter une pointe d’envie chez les compatriotes du coureur. Si l’intéressé s’y présentera pour y fourbir ses armes, Stéphane Thirion ouvre la boîte à souvenirs. «Jurgen Van den Broeck avait fait 3e en 2010 et 4e en 2012 du Tour de France, mais des coureurs capables de gagner un grand tour, la Belgique n’en a pas eu depuis… depuis longtemps.» Depuis Johan De Muynck, vainqueur du Tour d’Italie 1978 alors qu’il s’y alignait comme lieutenant de Felice Gimondi. «On ne se souvient pas de moi? C’est normal. J’ai peut-être roulé dans la pire période finalement… Il y avait tellement de bons coureurs belges», déclarait De Muynck en mai 2018 à la RTBF.
Aujourd’hui, Remco Evenepoel est peut-être le seul Belge à pouvoir inscrire son nom, à l’avenir, au palmarès d’un Grand Tour. Mais avant, il ambitionne de succéder à Philippe Gilbert, dernier champion du monde belge (2012). Coqueluche de tout un pays, trait d’union parfait entre les communautés flamande et wallonne, Gilbert est, selon Stéphane Thirion, «le plus grand coureur belge depuis Roger De Vlaeminck». Une succession qu’est appelé à assumer l’ambitieux mais populaire Remco Evenepoel.
Charles Michel