Le scénariste luxembourgeois Frédéric Zeimet lancera lundi sa web-série W. Un feuilleton en six épisodes de 5 à 10 minutes sur une femme qui a perdu la mémoire et trois enfants portés disparus.
«C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis longtemps», lance Frédéric Zeimet au sujet de W, sa web-série dont le premier des six épisodes sera disponible lundi, dès 6 h. Le Belgo-Luxembourgeois avait d’ailleurs déjà développé un projet similaire pour Canal+. Mais ça n’avait pas abouti. Quand il trouve un peu de temps pour lui, après la naissance de son premier enfant, le scénariste ressuscite l’idée, la change un peu, la réimagine, la retravaille et la transpose au Grand-Duché.
Ce sera W. «L’histoire d’une femme qui se retrouve au milieu de nulle part, dans un bois, sans savoir qui elle est. Elle est suspectée des enlèvements de trois enfants d’une dizaine d’années qui ont eu lieu dans le pays. Tout en essayant de prouver son innocence, elle doit se rappeler qui elle est», résume le créateur. Pour ce projet, en plus de l’écriture – «Je suis un conteur d’histoires» reconnaît-il – le scénariste a dû prendre en charge l’aspect production et réalisation.
«C’est un accident, explique-t-il. Une fois que le scénario était prêt, je l’ai présenté au Fonspa et obtenu un soutien de 30 000 euros à travers l’initiative Carte blanche. C’est peu. Pour que ça se fasse, toute l’équipe a dû faire des sacrifices. Je ne voulais pas faire porter la responsabilité d’une réalisation aussi tendue et complexe à un réalisateur. Si on fait une deuxième saison et qu’on a les moyens de laisser à un ou plusieurs réalisateurs la possibilité de s’exprimer, tant mieux. Mais là, c’était trop serré. Pareil pour la production. Impossible de convaincre un producteur d’investir là-dedans puisque personne ne connaît le produit et qu’il n’y avait rien à gagner. C’est quelque chose qui ne s’est jamais fait au Luxembourg jusqu’à maintenant.»
En pastille courte
Le tournage s’est déroulé en quatre jours seulement, en mai 2019 entre Bech et Hesperange. L’ensemble donne 43 minutes de fiction, coupée en six épisodes, avec à chaque fois un prégénérique, un générique, un développement et une fin qui tout en clôturant un chapitre crée l’envie de savoir la suite. Le tout avec quatre personnages seulement et quatre décors différents. Des pastilles courtes habituellement utilisées dans le genre humoristiques mais que Frédéric Zeimet utilise pour un genre dramatique. «J’ai voulu proposer quelque chose de « feuilletonnant », qui se construit au fur et à mesure.»
Un découpage qui sied aussi au personnage principal, qui faute de se rappeler son nom, demande qu’on l’appelle W, de Wëssen (le «savoir» en luxembourgeois). «Elle a des troubles de mémoire, des problèmes de concentration, des choses assez typiques parmi les syndromes autistiques… Ça entrait dans la dynamique que j’essayais de mettre en place», souligne le créateur.
W a effectivement, résume-t-elle dans la série, des «troubles sociaux et de communication. Hautes capacités de mémoire. Et des intérêts ciblés et limités». Autrement dit, elle est Asperger. Un peu comme «Dustin Hoffman dans Rain Man (ou) Sheldon de The Big Bang Theory», note-t-elle pour expliquer son trouble, tout en précisant que ce sont là des clichés exagérés. D’autant plus qu’il «y a autant de formes d’autisme qu’il y a de personnes autistes», ajoute-t-elle.
En plus de ça, elle est à la fois hypermnésique – c’est-à-dire qu’elle a une mémoire autobiographique extrêmement détaillée et une hypersensibilité de tous les sens qui fait qu’elle voit et sent des choses qu’une personne lambda ne perçoit pas – et amnésique à la fois. Elle ne sait plus qui elle est, où elle vit ou ce qu’elle faisait dans la forêt où les policiers l’ont retrouvée. Impossible dans ce sens de se dédouaner des accusations d’enlèvement d’enfants. Pour trouver les réponses à toutes ces questions, elle va devoir collaborer avec les policiers et les aider à trouver le coupable.
Un personnage surprenant et complexe interprété par Catherine Elsen et pour lequel Frédéric Zeimet a tenu à rester au plus près de la réalité. Pour éviter de tomber dans la caricature, il a travaillé le profil avec autisme.lu. «On a beaucoup travaillé sur la perception du réel, tout à fait différente et complexe, que peuvent avoir les personnes autistes. On a beaucoup travaillé le son, la saturation, la provenance des sons, etc. car il y a une hypersensibilité au son et à la lumière. On voulait transposer ça. Je pense qu’au niveau du son, on est arrivés à quelque chose d’assez proche du réel. Au niveau visuel, on a essayé quelque chose, avec des incrustations sur l’image de textes et de lignes blanches. Je ne suis pas certain que ce soit conforme à une perception autistique, mais ça présente bien la capacité d’analyse, cette simultanéité dans la réalité que perçoit le personnage.»
Résultat de qualité
Une approche on ne peut plus prudente et réaliste qui n’empêche pas, parfois, que le spectateur rit, ou du moins sourit, des réactions pas tout à fait conventionnelles de W. Un humour voulu, assumé par le réalisateur qui s’ajoute à celui porté par Tom et Greg – interprétés respectivement par Jérôme Burelbach et Fränk Grotz – les deux policiers qui vont mener l’enquête dont certains comportements débrident tout autant les zygomatiques. Selon Frédéric Zeimet, «ce sont deux flics qu’on peut rencontrer vraiment quand on va dans un commissariat. L’un est un peu plus sympatoche et véritablement fasciné par W. L’autre traverse un moment personnel complexe, donc ne fait plus trop gaffe à lui-même et a une tension qu’il n’arrive pas à évacuer sainement.» Il poursuit : «C’est un duo humain, pas des caricatures comme on en voit souvent dans les séries. Je voulais qu’ils soient attachants dans la relation qu’ils vont nouer avec elle.»
Le résultat est de qualité. Malgré un nombre de personnages restreints au minimum, des décors on ne peut plus simples, une équipe réduite et un budget rikiki, W propose une intrigue intéressante, des personnages attachants et complexes, une évolution dans les différentes relations, le tout couplé avec des informations on ne peut plus sérieuses sur Asperger et l’autisme. Sans oublier de belles trouvailles formelles.
Chaque épisode appelle l’autre. Jusqu’au dernier qui clôt parfaitement le récit tout en proposant une ouverture qui laisse la possibilité au créateur de poursuivre l’aventure W, que ce soit une nouvelle fois sur le web, à la télé ou ailleurs. Ça dépendra de la réponse du public à cette première saison et de l’intérêt de possibles investisseurs, tempère Frédéric Zeimet.
En attendant, le premier épisode de cette première saison, C, sera mis en ligne lundi à 6 h sur les pages Facebook, YouTube et Instagram de la série. Les cinq suivants seront disponibles sur les mêmes réseaux à intervalles irréguliers sur un mois, «selon mon ressenti, le retour des internautes sur le blog de la série, histoire de tenir la tension», note le créateur visiblement excité d’«explorer un peu ça!».
L’ensemble propose un récit équivalent à ce que pourrait être celui d’un épisode de série policière à la télé. Avec, comme dans la petite lucarne, une enquête avec des raccourcis étonnants, mais sans les longues parenthèses et les nombreux apartés et les intrigues secondaires qui créent des relations artificielles entre les personnages. Bref, une série qui va à l’essentiel. En luxembourgeois, avec sous-titres français.
Pablo Chiementi