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Des autosolistes encore trop nombreux au Luxembourg


Chaque semaine, il y a 155 voitures supplémentaires sur les routes luxembourgeoises avec en moyenne 1,2 personne à bord (Photo archives lq/alain rischard)

Le défi de la mobilité de demain comporte plusieurs facettes, dont celle du covoiturage. Mais en suivant la croissance démographique de la région, les covoitureurs vont devoir être plus nombreux.

Le Luxembourg souffre d’un réseau routier congestionné, pour ne pas dire complètement saturé. Les bouchons sont devenus le quotidien des automobilistes et être bloqué pendant 10 minutes peut très vite donner l’impression d’avoir passé le double du temps coincé à rouler au pas sur l’autoroute. Dès lors, il est intéressant de s’intéresser aux chiffres. Selon le TomTom Traffic Index, en 2018, Luxembourg était la 64e zone urbaine – sur 403 dans le monde – la plus encombrée, soit au même niveau que des villes comme Sydney, Genève, Hambourg ou encore Shanghai. Plus concrètement, il faut rajouter, en moyenne, 33 % au temps de trajet théorique pour un déplacement en voiture à Luxembourg. Mais les lundis, mardis et mercredis, entre 8 h et 9 h, ce temps additionnel s’élève à 68 % et même 72 % les vendredis entre 17 h et 18 h. Autrement dit, pour faire un trajet de 30 minutes, il faut compter 50 minutes. Une congestion qui risque d’empirer au fil du temps et même des semaines, selon l’analyse de Vincent Hein de la Fondation Idea : «Il y a 155 voitures supplémentaires chaque semaine sur les routes du fait de la croissance continue de la main-d’œuvre frontalière (133 par semaine) et résidente (121 par semaine) avec un taux d’occupation de 1,2 passager.» Autrement dit, des «autosolistes».

Au Luxembourg, 79 % des salariés utilisent leur voiture pour se rendre au travail, soit 248 000 personnes et seulement 49 000 covoitures. «En se projetant sur l’avenir avec une croissance de 20 % du nombre de salariés – une estimation basse – d’ici à 2025, il y aura 50 000 voitures en plus sur les routes», a prévenu Vincent Hein. Ajoutons à cela les déplacements «domicile-école», qui comptent pour un tiers des déplacements le matin, et les déplacements privés (10 % du trafic), la situation routière va très vite être intenable. Évidemment, le gouvernement travaille déjà sur le sujet avec sa stratégie Modu 2.0. qui a l’ambition de réduire d’ici à 2025 la congestion aux heures de pointe tout en transportant 20 % de personnes de plus. Plusieurs chantiers sont en cours, comme le tram, la gratuité des transports en commun, un aménagement des infrastructures routières, des pôles d’échanges multimodaux, etc.

34 000 personnes à convertir

En chiffres, cela veut également dire que d’ici à 2025, 73 000 automobilistes et autosolistes vont devoir se convertir. Dans le détail, 14 000 devront troquer la voiture contre un transport en commun, 10 000 contre un vélo, 15 000 contre la marche et, enfin, 34 000 devront partager une voiture.

Mercredi, le covoiturage était justement le sujet abordé lors d’un débat organisé par la Fondation Idea qui, pour l’occasion, avait invité Gerry Wagner, directeur général d’Arval Luxembourg (une société de location de véhicules d’entreprise appartenant au groupe BNP) et Julien Honnart, fondateur de la plateforme de covoiturage Klaxit (qui a racheté la filiale covoiturage de la SNCF en charge de la solution CoPilote). Pour Gerry Wagner, l’avenir de la voiture n’est pas remis en question ni celui de la voiture de société tant la voiture «fait partie de la chaîne de la mobilité». Julien Honnart, de son côté, a également souligné que le covoiturage avait «besoin d’incitatifs financiers» afin de voir des personnes adopter ce mode de déplacement.

Si sur le papier le covoiturage semble être une bonne solution, la réalité est tout autre et il est très difficile de faire abandonner le confort de sa voiture personnelle pour un covoiturage. Dès lors, est-ce vraiment plausible de vouloir «convertir» 73 000 personnes en cinq ans? «On ne va pas y arriver aussi facilement. Il faut se donner des objectifs ambitieux mais il faut aussi qu’ils soient réalistes», a souligné Gerry Wagner avant de continuer : «Il faut aussi mettre les moyens en œuvre pour permettre aux gens d’utiliser une alternative. Cela prendra du temps et le gouvernement luxembourgeois ne manque pas de volonté. Mais changer les habitudes et le confort de sa voiture est difficile. La clé de ce changement se trouve dans les entreprises. Aujourd’hui, on met à disposition des voitures de société, mais notre avenir est de mettre à disposition de la mobilité.»

Mettre en place des «pool cars»

Pour Julien Honnart, le covoiturage fonctionne à certaines conditions. «Il faut bien se dire que le covoiturage ne concerne pas tout le monde et j’ai envie de dire que ce n’est pas grave. Pour faire changer les habitudes, il faut que ce soit une vraie politique publique et concrètement mettre de l’argent sur la table. Actuellement, le passager n’est pas prêt à payer le prix qu’a besoin le conducteur pour le transporter. On reste ainsi sur peu de passages à l’acte. Donc, si on veut du covoiturage, il faut maintenir le gain pour le conducteur et baisser le coût pour le passager. Le différentiel devant être pris en charge par une subvention publique», a souligné le fondateur de Klaxit qui propose déjà ses services en Île-de-France et dans certaines villes comme Nantes.
Convertir au covoiturage, cela veut également dire qu’il faut mettre à disposition des aires ou des P+R dédiés au covoiturage, repenser la fiscalité autour de la voiture de société, récompenser les efforts des covoitureurs, mettre en place des solutions en entreprise comme des «pool cars», c’est-à-dire des voitures partagées au sein même de la société.
On peut même aller plus loin en tentant d’encourager les salariés à habiter plus près de leur lieu de travail afin d’éviter de prendre la voiture mais, dès lors, on touche au problème du logement au Luxembourg.

On l’aura compris, le covoiturage fera partie de la solution de la mobilité de demain, mais implique de nombreux changements.

Jeremy Zabatta