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[Expo] Pompidou-Metz : histoire(s) de formes


«One Summer Afternoon» (1968) de Rasheed Araeen fait partie des œuvres exposées. (Photo : DR)

Il y a un siècle, une grande partie de la sculpture moderne choisissait la voie de l’abstraction, ce dont témoigne la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz, à travers des œuvres d’exception.

D’emblée, une citation, à mettre au crédit du peintre et théoricien américain Ad Reinhardt : «La sculpture, c’est ce sur quoi on bute quand on regarde un tableau.» Oui, face à la prédominance rarement remise en cause de la peinture, la sculpture a toujours eu du mal à se faire une place au soleil.

Des prêts de Pompidou-Metz exceptionnels

Une discipline, donc, «plus rarement exposée», explique-t-on ainsi du côté du Centre Pompidou-Metz, qui corrige le tir de belle manière avec cette exposition, intitulée «Des mondes construits», se proposant, sur 1 000 m² et grâce aux prêts exceptionnels du grand frère parisien, d’«interroger» cet art et «ses langages pluriels» sur un siècle entier, fait d’expérimentations, d’audace et de nouvelles perspectives.

Pour faire simple, avant la révolution annoncée par Rodin et ses Bourgeois de Calais (1895), œuvre ayant ébranlée la critique de l’époque, tant par le style que la méthode, le terme «sculpture» réunissait essentiellement les statues et monuments. Mais voilà qu’au siècle nouveau, une poignée d’artistes redéfinissent le geste, selon deux axes principaux définis par le musée : d’un côté, un «éclatement de l’espace», et de l’autre, une «proximité nouvelle» avec «d’autres disciplines». Cessant d’être un «simple» objet, la sculpture bascule alors dans le «champ élargi» qu’a pu décrire l’historienne de l’art Rosalind Krauss, pour devenir une structure, une installation, un environnement, une performance…

«Petite histoire de la sculpture moderne»

Voilà tout l’enjeu de cette exposition «phare», «première pierre» des prochaines célébrations des dix ans du Centre Pompidou-Metz – elle s’étale sur toute l’année 2020 et au-delà – et qui débute (ou se finit, c’est selon) par une salle centrale imaginée par l’artiste conceptuel Falke Pisano, conçue comme une «petite histoire de la sculpture moderne».

Dans les 14 autres salles, à voir comme autant de chapitres, l’approche a été voulue non chronologique, le parcours privilégiant en effet des problématiques fondamentales, déjouant au passage les présupposés classiques : place du geste, présence, absence ou intégration du socle, du volume, des matériaux, de la gravité ou de l’immobilité…

La sculpture «la plus célèbre» du XXe siècle

Rien de figuratif ici, mais plutôt des élans avant-gardistes et constructivistes, englobant de nombreux courants de pensée, symbolisant aussi un médium parfois repoussé vers ses limites. Certaines œuvres présentées, témoins de ce chamboulement, flirtent en effet avec le dessin, l’architecture, la peinture, l’installation…

Des créations «inclassables», portées par des noms prestigieux (Calder, Malevitch, Giacometti…). Dans le lot, on trouve celle de Brancusi, La Colonne sans fin III, considérée comme l’une des sculptures «les plus fameuses du XXe siècle, si ce n’est la plus célèbre», dixit le commissaire de l’exposition, Bernard Blistène. Une réunion qui s’achève avec Rubble, de Monika Sosnowska, qui simule un effondrement de plafond. Preuve que la sculpture, en un siècle, a fait un sacré bout de chemin.

Grégory Cimatti

«Des mondes construits» à voir au Centre Pompidou – Metz jusqu’au 23 août 2021.

Bernard Blistène, directeur du musée national d’Art moderne à Paris, et commissaire de l’exposition messine, explique son penchant sensible pour la sculpture.

Pourquoi avoir fait le choix d’interroger la sculpture ?
Aujourd’hui, c’est un fait, on ne présente pas la sculpture et ses multiples développements avec autant de facilité que pour d’autres disciplines. Mais je continue de penser que c’est dans la radicalité même de la sculpture, et dans les liens qu’elle a entretenus avec d’autres formes d’expression plastique, que certains aspects de la modernité ont été les plus déterminants. Alors oui, il m’a paru légitime de revenir aujourd’hui à l’Histoire, dans une période qui feint de la négliger.

Il a fallu faire des choix… difficiles

Quelles sont les spécificités de la collection de sculptures du Centre Pompidou à Paris, d’où viennent les œuvres visibles dans cette exposition?
Foisonnant de multiples ensembles, cette collection est d’une richesse inouïe. L’atelier de Constantin Brancusi, que l’artiste a légué dans sa totalité à l’État en 1956, est, par exemple, une inestimable contribution à la compréhension de la sculpture moderne. Ces dernières années, je me suis d’ailleurs attaché à donner une place importante aux sculptures dans le parcours des collections permanentes du musée. Mais mettre sur pied cette exposition, dans ce sens, n’a pas été simple : tant et tant d’œuvres sont apparues nécessaires à montrer, et on a été submergés par tout ce que nous aurions voulu rassembler. Il a donc fallu faire des choix… difficiles (il rit).

L’exposition suit un fil rouge qui est celui de l’abstraction en sculpture, et au sein de celle-ci, l’approche constructiviste en particulier. Pourquoi avoir choisi cet axe?
Sculpture, assemblage, construction… Autant de paradigmes qui ont été novateurs et féconds dans le développement de la sculpture des XXe et XXIe siècles. Mais je crois essentiel de montrer la porosité qui existe entre différentes disciplines et notamment, la relation qui s’est instituée au fil du XXe siècle entre sculpture, architecture et espace public. C’est d’ailleurs à partir de cette relation essentielle que ce projet s’articule.