Il sort d’une saison extraordinaire. Passé avec brio de la Continental au World Tour, le Schifflangeois de 23 ans semble avoir tout l’avenir devant lui.
Il y a un an, presque jour pour jour, vous annonciez votre départ de Chambéry pour rejoindre l’équipe Continental de Groupama-FDJ. Pour quelle raison ?
Kevin Geniets : Tout simplement parce que je ne progressais plus. Dès les championnats nationaux, il était évident qu’il fallait que je parte si je voulais avoir une chance de passer pro. Même si je ne savais pas où, il fallait que je parte.
Et du coup, pourquoi Groupama FDJ ?
J’avais été stagiaire chez AG2R et on avait décidé que je devais faire encore une saison en Continental. Mais dès le mois de mars 2018, Nicolas Boisson est venu me voir sur Gand-Wevelgem pour me dire que si AG2R ne me prenait pas, ils avaient une place pour moi qui m’attendait. Je l’ai recontacté et ça s’est passé comme cela.
À ce moment, le World Tour est très loin de votre esprit ?
Bien sûr. Je me suis fixé comme objectif de progresser et de performer. J’ai bien marché tout l’hiver, j’avais de bonnes sensations. Je sentais que j’étais sur la bonne route. Mais de là à m’imaginer être en World Tour…
Quand vous recevez un coup de fil à 20 h, généralement, ce n’est pas une bonne nouvelle
C’est pourtant ce qui va se passer. Quand vous avez entendu parler de la résiliation du contrat de Georg Preidler pour dopage, avez-vous pensé qu’on ferait appel à vous ?
En tout cas, je me suis dit qu’ils pouvaient faire appel à quelqu’un de l’équipe. Nous étions plusieurs à avoir bien marché. Donc, je calculais mes chances à hauteur de 10 %. Je devais d’abord prouver que j’étais de retour. Et au bout de deux semaines, on n’avait toujours pas de nouvelles.
Et c’est un coup de fil qui va tout changer ?
Oui. Je sortais de Paris-Troyes et comme j’avais fait une bonne course, j’étais au salon en train de me préparer une pizza quand je vois que Jens Blatter, le manager de l’équipe, m’appelle. Généralement, quand vous recevez un coup de fil à 20 h, ce n’est pas une bonne nouvelle. C’est qu’il y a un souci.
Et pas du tout ?
Non ! Il m’annonce que c’est moi qu’on a choisi pour rejoindre l’équipe World Tour et qu’il était très content pour moi.
Savez-vous pourquoi c’est vous qu’on a choisi ?
Il m’a expliqué qu’on avait pensé à moi car, selon eux, j’étais le plus à même de m’adapter au World Tour. Que je présentais le plus de certitudes pour faire le pas supplémentaire et continuer de performer.
Et quelques jours plus tard, vous rejoignez donc vos nouveaux coéquipiers. Comment ça s’est passé ?
Je suis arrivé la veille de la Classic Loire Atlantique, je n’avais pas de vêtements, pas de vélo, je ne connaissais personne. Il y a beaucoup de personnes dans le staff. Je suis allé me présenter et c’était parti.
Au début, logiquement, vous êtes la dernière roue du carrosse ?
Oui. Au premier briefing, le directeur sportif m’explique que je suis le premier à devoir rouler. Une fois l’échappée rapidement partie, j’ai roulé jusqu’à ce que je n’en puisse plus. J’ai dû faire une centaine de kilomètres devant avant de rentrer dans le bus. Les mecs sont venus me voir pour me féliciter, c’était encourageant.
Je me suis un peu surpris
Et ce sont deux courses qui vont vous faire changer de statut ?
Oui. Je participe avec l’équipe nationale au Tour des Flandres espoirs. Je termine huitième, si bien que l’équipe s’est dit que j’avais du potentiel et a décidé de me protéger pour Paris-Camembert. Là, je prends la huitième place. Je faisais partie d’un petit groupe qui roulait pour la victoire, j’ai même tenté d’attaquer à la flamme rouge avant de me faire reprendre par Benoît Cosnefroy, qui l’emporte. Mais j’ai su saisir ma chance. Les directeurs sportifs étaient un peu surpris et moi-même, je me suis un peu surpris. Tout cela m’a permis de petit à petit gagner en confiance. Et d’avoir de plus en plus de liberté.
La confiance, c’est le maître mot ?
Oui. Je sortais d’une année difficile où j’avais perdu beaucoup de confiance. Mon premier but était de la retrouver. Et ensuite, y aller étape par étape et montrer que j’avais ce qu’il faut pour être dans un final. À cette époque, je suis sur des courses de moyenne importance. Sur les Quatre Jours de Dunkerque, je suis là pour aider Marc (Sarreau) (NDLR : Il termine finalement 1er de son équipe, à la 21e place, à 1’49 » de Mike Teunissen). Ensuite, je suis encore protégé à Plumelec puis le lendemain aux Boucles de l’Aulne et je fais 10e et 6e. Je montre que ce n’était pas un coup de chance.
Vous enchaînez avec le Tour de Luxembourg…
Oui. J’étais avec l’équipe nationale mais j’ai commis une erreur tactique. J’étais content de ma forme mais pas du résultat.
Et dans la foulée, votre première épreuve World Tour et pas la moindre, puisque c’est le Tour de Suisse ?
C’était six jours après le Tour de Luxembourg, ça montrait que l’équipe avait confiance en moi. Le World Tour, c’est un autre monde, il y a encore plus de personnes dans le staff, c’est encore mieux organisé, c’est la perfection partout. Ça roule très vite dans les cols. En montagne en World Tour, si tu pèses plus de 60 kg, tu ne peux pas faire grand-chose.
Quel bilan avez-vous tiré de cette première expérience ?
Positif. J’étais là pour découvrir, pour voir comment ça se passe à ce niveau. J’étais notamment très content des deux chronos (NDLR : 30e et 27e) surtout que c’est très spécifique, on se retrouve face à de véritables spécialistes. Et le jour où j’ai eu la possibilité de m’échapper, je l’ai fait. On n’a été repris qu’à 5 km de l’arrivée.
Viennent ensuite les championnats nationaux, avec la deuxième place derrière Bob Jungels ?
Oui. Bob n’était pas dans un grand jour, moi j’étais en grande forme car je sortais du Tour de Suisse. Un moment, je me suis dit que ce serait possible de le battre, mais il était le plus fort.
Sur le BinckBank Tour, vous côtoyez pour la première fois Arnaud Démare ?
C’est peut-être un très grand champion mais à table, les résultats ne se voient pas. Tout le monde est sur un pied d’égalité. Il est très sympa avec tout le monde.
Vous effectuerez ensuite votre plus grand déplacement de la saison avec les courses au Québec. C’est agréable de prendre l’avion ?
En fait, on prend tout le temps l’avion. Maintenant, j’avais déjà participé aux Mondiaux aux États-Unis, au Qatar. Les gens pensent qu’on est là en touriste mais ce n’est pas le cas. On arrive, il faut récupérer du décalage horaire, on reste beaucoup à l’hôtel. Mais on a la chance de faire du vélo. Et de découvrir les pays en sortant avec le vélo.
Une semaine plus tard, place aux Mondiaux. Et vous avez décidé de les effectuer chez les U23 ?
Oui. C’était prévu comme cela. J’aurai le temps de faire des championnats du monde en élite. J’y suis allé avec des ambitions. J’étais en grande forme, mais je n’ai pas été assez vigilant sur la course en ligne. Je me fais prendre dans une bordure, je suis le seul du deuxième groupe à revenir sur le premier mais j’avais utilisé beaucoup de cartouches et pour moi, la course était finie.
Quelques semaines plus tard, fin de saison à Paris-Tours. Quel regard portez-vous sur cette saison ?
C’était une année très spéciale. J’arrive en World Tour, je parviens à performer, à faire de jolies courses. Pendant la saison, tu ne réalises pas trop. Mais une fois qu’elle est terminée, ça te donne envie de te lancer dans la saison 2020.
Que des coureurs qu’on connaît à la télé !
Si on vous demande une image forte de cette saison ?
Sur le BinckBank Tour, l’étape de Houffalize. Elle était très dure, je me retrouve à l’avant et j’avais beau regarder dans tous les sens, il n’y avait que des coureurs qu’on connaît de la télé!
La saison 2020 s’est préparée dès le lendemain de Paris-Tours ?
Oui. Alors que beaucoup d’équipes préfèrent attendre le mois de décembre pour parler de la prochaine saison, chez Groupama-FDJ, ça se fait avant de partir en vacances. On a des entretiens, des tests médicaux, un photo shooting, on prend vos mesures pour les vêtements. Tout cela nous permet d’être concentré sur l’entraînement lors du stage en décembre.
Lors de ces entretiens, vous avez pu évoquer votre prochaine saison ?
Oui. Normalement, je vais faire partie de l’équipe des classiques flandriennes. Et notamment le Tour des Flandres, qui me fait rêver. Je devrais également participer à un Grand Tour. Ce sera vraisemblablement la Vuelta. Mais tout cela doit encore être précisé à Calpe, en décembre.
Quel but vous fixez-vous pour votre prochaine saison ?
J’espère faire un bon début de saison sur les classiques. Ce sera nouveau pour moi. J’ai envie de voir ce que je peux faire. Où je peux aller. J’ai envie de continuer de progresser et, pourquoi pas, de gagner une course, comme une Coupe de France. L’année dernière, j’avais perdu la confiance. Cette année, je l’ai retrouvée. Maintenant, je ne me fixe plus de limites. J’ai envie de jouer les premiers rôles dans les classiques flandriennes d’ici cinq à six ans. Mais je ne veux pas griller les étapes.
Vous serez en fin de contrat à l’issue de cette saison, vous le redoutez ?
Non.
Entretien avec Romain Haas