L’abbaye de Neumünster invite ses visiteurs à la réflexion à travers un travail de la Luxembourgeoise Désirée Wickler, «Eldorado», sous-titré «Laisser danser les morts», une allégorie de la «danse macabre».
Quand on marche dans le cloître de l’abbaye de Neumünster, on marche, en fait, sur des squelettes», rappelle Ainhoa Achutegui, la directrice de Neimënster. «C’est là que se trouvait l’ancien cimetière de l’église», ajoute-t-elle en expliquant que le lieu de l’exposition «Eldorado» de Désirée Wickler n’a nullement été choisi au hasard.
Car la jeune artiste luxembourgeoise, qui expose à l’abbaye pour la troisième fois, s’est penchée pour ce nouveau projet sur l’idée de la danse macabre. Cette tradition artistique européenne élaborée à la fin du Moyen Âge se nourrit des inquiétudes des gens, tout particulièrement pendant les crises et les périodes instables, et y répond par la force de l’imaginaire, avec tout ce qu’il faut de squelettes, de crânes, d’ossements et tout autre symbole représentant la mort.
Un acte cathartique rappelant que la mort ne fait aucune différence entre riches et pauvres, célèbres et inconnus, hommes et femmes… «Une critique de la société du moment», ajoute Désirée Wickler. Elle poursuit : «Une critique de l’Église surtout. Une manière de dire qu’on est tous égaux devant la mort. Je montre ça dans mon travail. Je m’intéresse à l’être humain comme individu qui se pose la question de sa liberté individuelle dans la société, qui se demande comment interagir en société, comment vivre tous ensemble.»
Un travail inspiré par le poème d’Edgar Allan Poe Eldorado, dont le titre a été emprunté par Désirée Wickler pour cette exposition qui lui a demandé plus de six mois de recherches sur la danse macabre, son rôle dans l’histoire de l’art et dans la société. Un aspect qui n’a pas laissé Ainhoa Achutegui indifférente. «Ce qui nous a intéressés, c’est justement la profondeur avec laquelle elle travaille les différents sujets.» Une recherche qui s’est également traduite par de nombreux repérages à Neimënster pour proposer un travail particulièrement adapté à ce lieu, avec son histoire et son architecture.
Le coup porté par cet « Eldorado » est rude, avec une ambiance noire, fantasmagorique même, mais tant le lieu que l’exposition
prêtent non au désespoir, mais à la réflexion.
Avec ce travail sur la mort, l’artiste veut briser un tabou. Le tabou ultime de l’être humain avec cette mort qui attend tout un chacun mais que tout au long de la vie on essaye d’oublier, de ne pas voir. Et Désirée Wickler n’hésite pas à faire un parallèle avec le changement climatique. «Ça y est, nous sommes tous au courant, il est là, c’est une réalité, mais, souvent, nous ne voulons pas le voir.» Et de poursuivre : «On a peur de cet avenir, mais on ne sait pas, en tant qu’individu, comment l’accepter, et surtout quoi faire pour changer ça.»
C’est dans les détails, nombreux, voire omniprésents, de ses œuvres, qu’il faut chercher ceux que l’artiste considère comme les responsables de cette triste réalité. Il y a l’argent, l’exploitation de la nature et des humains, la surconsommation, la surmédication, le culte de l’apparence, les nouvelles technologies qui nous rendent accros… En d’autres termes, tout (ou presque) ce que fait la société occidentale aujourd’hui, d’autant qu’il y a «la publicité et le marketing… qui nous montrent comment nous devrions vivre». «C’est une critique du capitalisme», reconnaît sans détour l’artiste. D’où la présence de plusieurs logos de marques célèbres dans de nombreux dessins.
Mais le cloître de l’abbaye de Neumünster n’a rien de l’Enfer de Dante. Ici, pas de «laissez toute espérance, vous qui entrez», au contraire. Avec son ambiance noire, fantasmagorique même, confortée par l’installation sonore proposant une adaptation musicale de l’Eldorado de Poe imaginée par la poétesse autrichienne Sophie Reyer, le coup porté par cet «Eldorado» est rude, mais tant le lieu que l’exposition prêtent non au désespoir, mais à la réflexion.
Et pourquoi pas, aussi, à l’espoir. C’est, en tout cas, la lecture qu’en fait Ainhoa Achutegui : «Ces images de la mort sont en relation avec la culture qu’on offre ici à Neimënster. La culture, la danse, autrement dit, la vie; avec en dessous, la mort qui nous accompagne toujours».
Pablo Chimienti
Neimënster – Luxembourg. Jusqu’au 15 décembre.