Un tuyau d’une de ses épouses et l’analyse de ses sous-vêtements ont permis d’aboutir, après des années de traque et plusieurs mois de préparation minutieuse, à la mort d’Abou Bakr al-Baghdadi, acculé dans un tunnel syrien par les commandos américains.
Depuis qu’il s’était autoproclamé en 2014 « calife » d’un territoire qui a compté jusqu’à sept millions d’habitants, à cheval entre l’Irak et la Syrie, le chef de Daech était devenu l’homme le plus recherché du monde. Sa mort a été annoncée plusieurs fois, toujours à tort : toutes les tentatives pour éliminer cet Irakien de 48 ans avaient échoué, tant l’imam vivait dans l’ombre. Jusqu’à la nuit de samedi à dimanche, lorsqu’il s’est fait exploser avec trois enfants plutôt que d’être tué par les forces spéciales des États-Unis à Baricha, petit village du nord-ouest de la Syrie près de la frontière turque.
Description cruciale d’une épouse
« La nuit dernière, les États-Unis ont fait payer le prix de la justice au principal leader terroriste au monde. Abou Bakr al-Baghdadi est mort », lance le président américain Donald Trump dans une allocution télévisée dimanche matin. Deux jours plus tard, les détails commencent seulement à émerger. Mais d’ores et déjà, les Irakiens, ainsi que les forces kurdes en première ligne dans la guerre qui a permis au printemps de reconquérir la totalité du « califat » de Daech, revendiquent un rôle déterminant. Le renseignement irakien affirme qu’il travaillait depuis un an pour « localiser le repaire » de celui que l’on surnommait le « fantôme ».
Un appel téléphonique de l’une de ses épouses, qui se trouve alors avec lui, permet de le dénicher, ainsi que des informations obtenues auprès d’une autre de ses femmes, en détention en Irak. Côté kurde, on affirme avoir entamé mi-mai une collaboration avec la CIA pour « surveiller de près » Abou Bakr al-Baghdadi, grâce à une précieuse source au plus près de la cible. C’est alors que tout s’accélère. Cette « source », présentée comme un conseiller du chef de Daech, a accès à la maison où il se cache. Elle fournit une description du complexe, au cœur des champs d’oliviers, dans une zone montagneuse de la province d’Idleb : la disposition des pièces, les tunnels secrets, et jusqu’au nombre de gardes.
Mieux : à en croire les Forces démocratiques syriennes (FDS) dominées par les combattants kurdes, leur informateur infiltré parvient durant l’été à subtiliser un des sous-vêtements de Baghdadi, puis, en septembre, à se procurer un échantillon de son sang. Le passé du chef jihadiste remonte alors à la surface, et s’avère crucial. L’ADN récolté sur ces pièces remises au renseignement américain est en effet comparé à celui prélevé lors de son passage, en 2004, dans une prison américaine du sud de l’Irak. Et les données correspondent : l’homme caché à Baricha est bien celui pour la capture duquel Washington offre une récompense de 25 millions de dollars.
« Il fallait le faire maintenant »
L’US Army met alors au point son raid. Mais l’opération est rendue incertaine par la complexité du terrain. Cette région est contrôlée par Hayat Tahrir al-Cham, une coalition jihadiste issue d’Al-Qaïda et rivale de Daech. La Turquie a de son côté des soldats déployés à Idleb, une province régulièrement pilonnée par le régime de Damas, soutenu par la Russie. Qui plus est, alors que les préparatifs vont bon train, Donald Trump retire début octobre à la surprise générale ses troupes du nord de la Syrie, laissant le champ libre à une offensive turque contre les forces kurdes pourtant alliées de Washington.
Selon ces dernières, ce coup de théâtre retarde l’opération contre Baghdadi. « Au vu de la situation chaotique », « il fallait le faire maintenant », affirme pour sa part un haut responsable américain, sous couvert de l’anonymat, reconnaissant le « rôle-clé » des FDS. Le feu vert est donné pour le week-end, en coordination également avec la Russie. Huit hélicoptères américains atterrissent à la faveur de la nuit dans le village syrien, débarquant une unité d’élite. Grâce aux caméras embarquées, Donald Trump suit la scène en temps réel, « comme un film », dans la « Situation Room » ultrasécurisée de la Maison Blanche.
Guidés selon les Kurdes par leur source infiltrée, restée sur place jusqu’au bout, les soldats américains plastiquent un mur, et accèdent au complexe. Le chef de Daech se réfugie dans un tunnel avec trois enfants, probablement les siens. Précédées de leurs chiens-soldats, les forces américaines s’y engouffrent, craignant qu’il parvienne à fuir. Mais le tunnel s’avère être une impasse. Le jihadiste est acculé. « Il criait, il pleurait, il gémissait », raconte le président des États-Unis. Abou Bakr al-Baghdadi actionne alors sa veste bourrée d’explosifs, se tuant, ainsi que les enfants. « Il est mort comme un chien », assure Donald Trump en décrivant l’opération avec force détails. Les soldats américains sont eux indemnes et capturent deux hommes de l’État islamique. Un chien de l’armée américaine est en revanche légèrement blessé et devient le symbole du raid réussi lorsque le locataire de la Maison Blanche publie sa photo « déclassifiée » sur son compte Twitter aux 66 millions d’abonnés.
Alors que les questions restent nombreuses, les restes d’Abou Bakr al-Baghdadi sont immergés en mer. Comme le chef d’Al-Qaïda Oussama ben Laden, tué lors d’un raid américain au Pakistan en 2011, pour éviter que sa sépulture ne devienne un lieu de pèlerinage.
LQ/AFP