Le fils de Jawaher est mort en Syrie dans la lutte contre le groupe Etat islamique (EI). Aux funérailles de combattants tués au cours de l’offensive de la Turquie, pleine d’amertume mais résignée, elle rappelle que les Kurdes ont toujours été trahis.
« On appelle ça la déception », lâche en kurde la quinquagénaire au visage ridé, assise devant la pierre tombale en marbre de son fils, Hozane, tué en 2014 dans les combats contre les jihadistes. « Par le passé, on a déjà été victimes de trahison. L’injustice existe dans toute l’histoire du Kurdistan », ajoute-t-elle d’une voix calme. Après avoir été les enfants chéris des Occidentaux, et surtout de Washington, durant les longues années de lutte contre l’EI, les forces kurdes se retrouvent seules sur le champ de bataille pour affronter une offensive de la Turquie dans le nord syrien.
Pour les Kurdes, l’opération d’Ankara n’aurait pas été possible sans un retrait des troupes américaines de certains secteurs frontaliers –un feu vert donné à la Turquie. En près d’une semaine, au moins 154 combattants des forces kurdes ont été tués dans les affrontements avec les troupes turques et leurs supplétifs syriens, selon l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH). Dans un cimetière de Qamichli, dans le nord-est syrien, ils sont des centaines à s’être déplacés lundi pour les funérailles de cinq hommes tombés au combat.
Des hauts-parleurs crachent des chants lancinants
« L’éternité pour les Martyrs », scande la foule. Les portraits des victimes sont collés sur les cercueils, transportés à bout de bras, décorés de fleurs et de rubans colorés. Des hauts-parleurs crachent des chants lancinants qui vantent la résistance des Kurdes. Tandis que certaines femmes pleurent et essuient leurs larmes, d’autres lancent des youyous en signe de défiance ou font le signe du V de la victoire. Durant la cérémonie, une combattante en uniforme militaire, foulard fleuri sur la tête, enlace un des cercueils, pour un dernier adieu. Une autre femme, les cheveux hâtivement noués et le visage fatigué, passe la main sur un cercueil en murmurant, les yeux fermés. Après le retrait américain de la frontière, les autorités kurdes ont dénoncé « un coup de couteau dans le dos ». Washington est ensuite allé encore plus loin en confirmant le départ de ses militaires du nord syrien (environ un millier).
« Le comportement des Etats-Unis, c’est une trahison pour nos combattants », lâche Farida Bakr, la cinquantaine. « Ils mangeaient et ils buvaient ensemble pour lutter contre le terrorisme. C’est une énorme déception », ajoute-t-elle. C’est avec l’appui d’une coalition internationale emmenée par Washington que les forces kurdes ont mené toutes les grandes batailles contre l’EI, avant de proclamer en mars la fin du « califat » jihadiste en Syrie. Mais lâchées par l’allié américain, impuissantes face à l’aviation d’Ankara, les forces kurdes n’ont pas pu résister longtemps à l’avancée des troupes turques. L’offensive a permis aux forces turques et leurs supplétifs syriens de conquérir une bande frontalière longue de près de 120 kilomètres, allant de la ville de Tal Abyad jusqu’à l’ouest de Ras al-Aïn. « Le sang des martyrs n’a pas coulé en vain », espère toutefois Jawaher, qui a encore deux fils engagés au sein de la principale milice kurde, les Unités de protection du peuple (YPG). « Tous les acquis que nous avons pu obtenir ne partiront pas en fumée », martèle-t-elle.
Autonomie de facto
A la faveur du conflit qui ravage la Syrie, les Kurdes ont instauré une autonomie de facto sur les régions sous leur contrôle dans le nord et le nord-est du pays. Ces secteurs représentent près d’un tiers du territoire syrien. Cette émancipation déplait au voisin turc, qui craint qu’un noyau d’Etat kurde à ses portes ne galvanise les revendications indépendantistes des Kurdes sur son sol. Se défendant d’avoir abandonné la minorité, les Etats-Unis ont imposé des sanctions ciblées à des ministres turcs, dans l’espoir de convaincre Ankara de « mettre fin immédiatement à son offensive ». « On ne fait pas confiance aux Etats-Unis », lâche toutefois Souad Hussein. « Ils étaient présents uniquement pour leurs intérêts », fustige-t-elle. A 67 ans, elle a deux fils qui luttent avec les YPG. « On a encore espoir dans nos forces », dit-elle. « Les Kurdes n’ont pas d’amis. »
AFP