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[Roud Léiwen] Pour Gerson, Lisbonne c’est la maison… enfin presque


Gerson Rodrigues va vivre un moment extraordinaire vendredi soir avec sa sélection luxembourgeoise, contre son pays d'origine (Photo : archives Editpress).

Gerson Rodrigues a quitté Lisbonne à l’âge de 8 ans. Avant, il «cassait des chaussures» dans les rues de Pragal, de l’autre côté du pont du 25-avril.

Par un mercredi matin pluvieux, Gerson Rodrigues promène sa valise dans le terminal du Findel et doit s’interrompre tous les dix mètres. Tout le monde veut lui parler. Tout le monde veut quelques mots. Logique : il retourne à la maison ce matin par un vol de la TAP avec sur le râble le «survêt» des Roud Léiwen.
Lisbonne. La maison. Enfin presque. Disons que c’est presque chez lui. La tour de Belem, en face, il l’a eue sous ses fenêtres, installées de l’autre côté du Tage et de ce monstre de métal qu’est le pont du 25-avril, jusqu’à ses huit ans. Mais Lisbonne, il n’y mettait pas les pieds : «Pourquoi j’y serais allé? Je n’avais pas d’argent. J’aurais fait quoi en ville?» Il se contentait des rues de Pragal, à l’ombre du fameux Christ Rédempteur, qui domine la baie de sa stature impressionnante.

«Je suis arrivé au Luxembourg à neuf ans»

Dans une interview qu’il avait accordée au Quotidien il y a cinq ans maintenant et à laquelle on le ramène souvent, l’attaquant du Dynamo Kiev avait fait cette confidence d’une intimité rare chez les joueurs, mais pas chez lui, qui ne sait pas cacher si bien que ça ses sentiments : «Je n’ai pas eu une vie facile. Je n’ai presque pas vu ma mère pendant mon enfance et mon père, j’ai dû le voir deux fois dans ma vie. Quand elle est arrivée au Luxembourg, je suis resté au Portugal avec ma grand-mère maternelle. Ma mère ne voulait pas que je galère. Elle voulait s’intégrer, réussir professionnellement pour que je la rejoigne comme un prince et que je ne manque de rien. Elle ne voulait pas que je galère comme elle avait galéré. Et je suis arrivé au Luxembourg à neuf ans.»

À quoi ressemblait l’avant? À quoi ressemblait l’enfance? Sa description, aujourd’hui, se fait encore plus pudique. «Ce n’était pas le paradis. Il y a les belles choses – le Christ, le pont, Lisbonne – et puis les moins belles. Moi, c’était les moins belles. Ma vie, c’était le quartier, la banlieue. Ceux qui avaient de l’argent ne vivaient pas là.»

C’est ici même qu’a grandi un certain Luis Figo deux décennies plus tôt, mais cela, Gerson l’ignorait : «À l’époque, j’adorais jouer au foot mais pas le regarder. Je n’aimais pas le voir, j’aimais le faire», sauf quand cela touchait à Ronaldinho et au Brésil, qui représentaient sa «façon de concevoir le foot : en souriant».

Le seul vrai joueur de rue de la sélection

C’est comme ça qu’il est sûrement, à l’heure actuelle, l’un des seuls, si ce n’est le seul vrai joueur de rue de la sélection nationale. «C’est là que j’ai fait mes premières touches, que j’ai cassé mes premières chaussures contre des plus grands. Toujours des plus grands. Les plus petits, c’était trop facile. On m’appelait « Ge », plus exactement « Puto Ge » (NDLR : petit Ge). Dans la rue, celui qui décidait de qui jouait et de combien de gamins jouaient, c’était celui qui avait un ballon. Moi, je n’avais jamais de ballon parce que ma famille n’avait pas les moyens, mais je faisais toujours partie de ceux qu’on choisissait en premier.»
Sans doute parce qu’il était déjà évident que «Ge» faisait partie de cette caste à part qui pouvait un jour rêver de traverser le pont pour aller jouer de l’autre côté.

C’est ce qui va se passer demain. Devant une cinquantaine de membres de la famille et de 50 000 personnes, Gerson Rodrigues va jouer au stade Alvalade. Cela fera bizarre à tout le monde de s’asseoir là, puisque dans la famille, on est supporter du Benfica, même s’il se trouve «deux ou trois fans du FC Porto, mais ceux-là on ne les compte pas», sourit Gerson.

Benfica alors ?

Fan de Benfica alors, l’enfant de Pragal ? «Benfica, c’est ma mère qui m’a mis ça dans la tête. Elle avait rencontré le célèbre O Barbas (NDLR : propriétaire d’un restaurant non loin de Pragal et considéré comme le plus grand supporter de l’histoire du club) et elle m’a un jour forcé à acheter un maillot. J’avoue que même si je suis passé à autre chose, ça m’aurait fait quelque chose de jouer à l’Estadio Da Luz.»
Peu importe, l’Alvalade aussi est planté au milieu de Lisbonne. Maman, désormais enterrée depuis quelques mois à Pragal, surveillera ça de l’autre côté du pont : désormais loin des galères, comme elle en avait rêvé, son petit prince joue à l’Alvalade dans la cour des grands. Il en a parcouru du chemin.

De notre envoyé spécial à Lisbonne Julien Mollereau