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Brexit : «le Luxembourg est prêt à tous les scénarios»


«J'ai participé à cinq élections législatives nationales, je n'ai plus l'intention de participer à des élections», a réaffirmé Luc Frieden (Photo : Hervé Montaigu).

Depuis six mois, Luc Frieden est à la tête de la Chambre de commerce. L’ancien ministre des Finances fait le point sur les sujets économiques grand-ducaux et européens qui font l’actualité, dont le Brexit.

Quel bilan tirez-vous de la mission économique au Maroc à laquelle vous avez récemment participé en tant que président de la Chambre de commerce du Luxembourg (CCL) ?
Luc Frieden : Cette mission est un bon début, mais il faut évidemment qu’il y ait un suivi. Nous avons à cet égard signé un accord avec l’Agence du développement digital marocaine qui prévoit un échange de bonnes pratiques entre les activités de la CCL et les autorités marocaines. J’ai également convenu avec le président de la Confédération générale des entreprises du Maroc d’inviter un certain nombre d’entreprises marocaines au Luxembourg pour voir comment on peut renforcer la coopération avec le Grand-Duché, et notamment avec la place financière du Luxembourg. Pour se développer, les entreprises luxembourgeoises ont besoin de temps en temps de nouveaux marchés, et le Maroc peut être une très belle porte d’entrée vers l’Afrique, qui a un très grand potentiel.

Votre arrivée à la tête de la CCL en avril dernier a suscité des critiques. Pourquoi avoir accepté ce poste et que répondez-vous à ceux qui vous reprochent de venir du monde de la finance ?
J’ai accepté ce poste parce qu’on me l’a demandé et parce qu’après mûre réflexion j’ai estimé que c’était une continuation du travail que j’avais fait pendant 20 ans, qui consistait à aider à développer le pays et notamment à construire la place financière que nous avons aujourd’hui. Celle-ci est une grande réussite dont bénéficie tout le pays. La CCL représente toutes les entreprises luxembourgeoises, à l’exception des artisans et des agriculteurs, et elle représente aussi le secteur financier, qui est d’ailleurs le plus grand secteur économique du Luxembourg avec 25 % du PIB.
Toutes les réflexions qui ont été faites sont tout à fait normales. Elles auraient également eu lieu si quelqu’un d’autre avait été nommé. Je suis président d’un établissement de crédit et avocat d’affaires – je connais bien le monde des entreprises, tout comme je le connais de l’époque où je fus ministre des Finances. L’essentiel est que je représente l’ensemble des secteurs économiques.
J’ai été élu à l’unanimité et depuis que j’ai été nommé, j’ai eu des contacts extrêmement utiles, agréables et constructifs, avec l’ensemble des secteurs que représente la CCL.

La place financière luxembourgeoise fait l’objet de critiques récurrentes…
La place financière du Luxembourg respecte l’ensemble des standards internationaux relatifs au système financier. Beaucoup de banques sont contrôlées par la Banque centrale européenne. Et je suis heureux que ce soit une place financière dans laquelle les acteurs internationaux se retrouvent et sont satisfaits. À cet égard, je ne vois aucun problème pour étendre davantage le réseau international de la place financière, parce qu’on respecte les règles internationales.

Parmi les priorités, il y a la digitalisation

Quelles vont être les priorités de votre mandat ?
Parmi les priorités, il y a la digitalisation et la promotion des entreprises à l’étranger, ce que nous avons déjà commencé au Maroc. J’ai immédiatement trouvé à la CCL des dossiers qui nous permettent d’intensifier ces travaux. La troisième priorité, c’est la formation, car une économie ne peut bien se développer que s’il y a des gens bien formés. La formation se fait à l’école, mais aussi tout au long de la vie, et notamment dans les entreprises. La CCL a un rôle essentiel à jouer à cet égard.

Où en est le Luxembourg en matière de digitalisation ? Quels secteurs sont particulièrement concernés ?
Je crois que nous sommes tous concernés par la digitalisation. Je trouve que beaucoup d’entreprises ont fait énormément dans ce domaine, mais tous les secteurs doivent encore se développer en la matière. La CCL, à travers le programme « Go Digital », à travers des programmes de formation et à travers la House of Startups, aide les entreprises à faire cette démarche. Mais encore une fois, beaucoup a déjà été fait, que ce soit en matière d’e-commerce, par exemple, ou de paiement électronique. Beaucoup d’opérations avec l’État peuvent aussi se faire de façon électronique. Mais c’est un travail continu parce que la technologie avance.

Tant de digitalisation ne présente-t-elle pas un risque pour l’emploi ?
Non, parce qu’à chaque fois qu’il y a des développements technologiques, il y a certains emplois qui se perdent mais d’autres qui se créent. Je suis pour le développement technologique, parce que si on ne l’avait pas fait, il n’y aurait jamais eu la voiture, ni le train à grande vitesse ou encore internet. Oui, il y a des changements. Il faut accompagner les gens et les entreprises en termes de formation, et de là naissent alors de nouvelles opportunités pour les personnes concernées.

Y a-t-il un risque de récession réel ?
Il est toujours difficile de prédire l’évolution économique. Nous savons que l’économie fonctionne avec des cycles. Actuellement, nous vivons dans une phase de croissance, et il y a des signaux qui peuvent indiquer un certain ralentissement. Néanmoins, sur base de ce que je vois, je ne pense pas qu’on s’oriente vers un risque de récession à court terme. J’observe quand même que la zone euro et l’économie luxembourgeoise continuent à croître avec un rythme raisonnable et j’ai bon espoir que les comportements négatifs en termes de guerre économique puissent trouver une résolution à court ou moyen terme. Je ne pense pas que les États-Unis aient un intérêt à accentuer les conflits économiques, notamment avec la Chine.

Les entreprises ont besoin de sécurité et de prévisibilité

Le 31 octobre, le Royaume-Uni est censé quitter l’UE. Le Luxembourg est-il suffisamment préparé à un éventuel Brexit sans accord ?
Le Brexit, c’est le chaos total. Ce qui est très négatif pour le développement économique du Royaume-Uni. Les entreprises ont besoin de sécurité et de prévisibilité. Or c’est le contraire qui se passe au Royaume-Uni. Le Brexit montre aussi qu’il faut des liens économiques structurés avec les autres pays avec lesquels on veut faire des affaires. Parce que rien n’empêcherait le Royaume-Uni de partir du jour au lendemain, mais il réalise bien qu’il faut des partenaires. En ce qui concerne le Luxembourg, il est prêt et a déjà accueilli une soixantaine d’entreprises, essentiellement dans le secteur financier, qui souhaitent garder un pied dans l’UE. Donc je trouve que le Luxembourg, tant le secteur privé que le secteur public, a très bien réagi et est prêt à tous les scenarios qui peuvent se poser.

Le Brexit peut-il être envisagé comme une opportunité pour le Luxembourg ?
À court terme, oui. Ce n’est pas le Luxembourg qui a voulu le Brexit, mais il en a profité. Mais je crois qu’à long terme, c’est mauvais pour l’Europe. Ne plus avoir le Royaume-Uni dans l’UE, avec toutes les compétences qui caractérisent notamment la place financière de Londres, ce n’est pas une bonne chose.

Quelles sont vos attentes par rapport à Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne ?
Je tiens tout d’abord à dire que les choix de Mme von der Leyen à la tête de la Commission et de Christine Lagarde à la tête de la Banque centrale européenne sont excellents, dans la mesure où ce sont deux femmes compétentes qui en plus comprennent bien les multiples dimensions de l’Europe et du monde.
Pour ce qui est des sujets, je crois que le développement économique et social de l’Europe, combiné avec un développement durable, donc respectueux des contraintes de l’environnement, est un défi pour nous tous. Il y a beaucoup de travail à faire parce que pour la plupart des grands sujets qui nous concernent – la sécurité, l’économie, le climat, l’énergie, la politique étrangère – seule l’Europe peut apporter des solutions. Les solutions nationales ne sont pas très efficaces sur beaucoup de sujets. Je suis un Européen convaincu.

Nous avons besoin d’une croissance intelligente

On a souvent l’image d’un patronat assez réservé par rapport au changement climatique. Quelle est la part de responsabilité de l’économie dans ce phénomène ?
Je ne partage pas du tout votre analyse selon laquelle les entreprises seraient moins responsables que le reste de la population. Tous nous souhaitons avoir un comportement responsable, et les entreprises doivent faire partie de ceux-là. Mais cela vaut également pour les citoyens. Est-ce que nous sommes prêts à voyager moins ? Est-ce que nous sommes prêts à subir une augmentation des prix du pétrole et des billets d’avion ? Est-ce que nous sommes prêts à ne plus prendre la voiture ? En ce qui concerne les entreprises, je crois que nombre d’entre elles investissent énormément pour produire de façon à mieux respecter l’environnement. Mais c’est un travail qui prend du temps. Il n’y a pas de solution facile. Je crois qu’il faut aussi un vrai débat sur les solutions et pas simplement dire « il n’y a qu’à faire ceci ou cela ». J’ai confiance en la recherche. Je crois qu’il ne faut pas être pessimiste quant à l’avenir. Nous avons besoin de croissance pour maintenir notre système économique et social. Mais nous avons besoin d’une croissance intelligente. Et le développement durable fait partie de cette croissance intelligente à laquelle je souhaite que la CCL contribue. C’est pourquoi nous avons décidé de mettre sur pied un groupe de travail de l’assemblée plénière de la Chambre de commerce qui va discuter de ces questions. Le groupe sera dirigé par le patron de BGL BNP Paribas, Geoffroy Bazin. C’est un travail de longue haleine.

Vous êtes encore membre du CSV. Comptez-vous revenir en politique ?
Je me suis engagé lors de mon élection à la présidence de la CCL à respecter un devoir de réserve sur les sujets politiques, ce que je ferai aujourd’hui, et dans les cinq années à venir! J’ai participé à cinq élections législatives nationales, je n’ai plus l’intention de participer à des élections. Il faut savoir tourner la page. D’autant que j’ai accepté la mission de président de la CCL.

Propos recueillis par Tatiana Salvan