Après des résidences en vase clos, le Casino et ses invités «squattent» l’espace public. Première initiative du genre : la TAZ du collectif espagnol Todo por la Praxis, structure temporaire à l’esprit communautaire, implantée au cœur de la ville de Luxembourg jusqu’à début septembre.
Cassons les murs ! Tel aurait pu être le slogan du Casino pour son nouveau concept de résidences, qui, après cinq ans et dix projets artistiques au sein de l’Aquarium – pavillon de verre donnant sur le boulevard Roosevelt – a décidé de passer à autre chose. Tel un poisson s’affranchissant de son étouffant bocal pour aller voir l’océan, le musée pousse un peu plus loin ses limites géographiques et conceptuelles pour investir l’espace public. Cette fois-ci, plus de baie vitrée pour séparer l’art du citoyen lambda, confronté ainsi directement à la réalité sociale.
Pour cette première initiative du genre, l’établissement a même poussé l’idée d’émancipation jusqu’au bout, en choisissant, parmi quelque 300 candidatures, le collectif anarchiste et multidisciplinaire Todo por la Praxis. Depuis le début du mois, ce dernier, représenté par ses deux membres fondateurs, Diego et Jon, s’active à développer à Luxembourg une alternative à l’architecture conventionnelle en mettant en place une TAZ, espace éphémère et autonome à vocation culturelle et sociale.
Derrière l’appellation, on trouve l’écrivain Hakim Bey (de son vrai nom Peter Lamborn Wilson, connu, justement, pour son ouvrage Temporary Autonomous Zone), personnage singulier brassant large, entre mysticisme, culte de la piraterie et autres incitations au terrorisme poétique. Certains le voient également comme le père idéologique des hackers. Bref, si l’homme, dans son livre, s’est interdit de définir la TAZ, on pourrait la voir attachée à l’esprit des flibustiers du XVIIIe et au réseau planétaire du XXIe siècle.
Défenseur du Do It Yourself
Autogestion, réseau d’information et d’échange, travail communautaire, anarchisme, refus de la loi du marché, du tout spectacle et du contrôle étatique… Autant de termes qui collent bien à ces esprits alternatifs, défendant le DIY (Do It Yourself) comme philosophie de vie, et dont les actions – plus nombreuses ces dernières années – s’observent notamment à travers les squats organisés sans autorité supérieure, comme à Seattle ou Barcelone.
Toutefois, pas de drapeau à tête de mort surplombant l’étrange structure rouge composée d’échafaudages et de séparateurs de voie, sortie progressivement de terre depuis le début du mois, et interrogeant le badaud au croisement du boulevard de la Pétrusse et de la passerelle (ou viaduc). Non, il est d’abord question ici de faire revivre une place publique abandonnée – on remercie au passage Todo por la Praxis de faire oublier les toilettes souterraines aux odeurs âcres d’urine. Ensuite d’essayer de sensibiliser les curieux à ces formes de contestation participative.
Sur trois niveaux, le collectif espagnol propose ainsi : un premier étage, propice à l’accueil avec ses gradins et ses tables, qui fonctionne comme un lieu de réunion, de discussion et de plaisir partagé (ateliers, films, concerts). Au dernier, comme une canopée, un jardin communautaire est installé, avec une sonde – fabriquée en Espagne – qui indiquera sur internet le degré d’humidité dans les pots, nécessitant l’intervention ou non des jardiniers-bénévoles-responsables. Enfin, entre ces étages, au milieu donc, l’espace est réservé aux archives, à travers une cinquantaine de projets similaires au plus ou moins long cours.
Car il s’agit bien ici «d’échanger, d’apprendre et de développer des initiatives du même acabit», explique Jon. En effet, pour lutter contre la société de contrôle et ses pouvoirs qui oppriment, le seul moyen est d’y échapper et de rester «libre» dans la grande ville en créant son propre réseau, avant de devenir à son tour invisible. Ni révolution ni manifestation : il n’y a de vérités et d’autonomies que temporaires, c’est-à-dire non destinées à durer.
Grégory Cimatti
Archive TAZ (Temporary Autonomous Zone) du collectif Todo por la Praxis. Croisement du boulevard de la Pétrusse et de la passerelle/viaduc (Luxembourg). Jusqu’au 6 septembre.