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France : des crimes bientôt jugés sans jury


Des avocats redoutent notamment une réduction du temps des débats au détriment de la qualité du procès. (illustration AFP)

Révolution dans les palais : dès septembre, des « cours criminelles » vont juger des crimes à la place des assises et sans jury populaire, une innovation censée accélérer les procédures mais accusée par de nombreux professionnels d’éloigner encore plus les citoyens de la justice.

Issues de la réforme de la justice promulguée en mars, ces nouvelles cours chargées de juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion, principalement les viols et les vols à main armée, visent à répondre à l’engorgement des cours d’assises et à raccourcir ainsi les délais de jugement. Sept départements ont été choisis pour les expérimenter pendant trois ans : les Ardennes, le Calvados, le Cher, la Moselle, la Réunion, la Seine-Maritime et les Yvelines.

C’est à Caen qu’aura lieu, le 5 septembre, la toute première audience devant une cour criminelle. Cinq magistrats professionnels examineront, pendant une journée, une affaire de viol aggravé. Aux assises, l’affaire aurait été jugée par trois juges et six citoyens tirés au sort. Depuis son annonce surprise en mars 2018, l’expérimentation divise. L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) y voit l’occasion de « juger des crimes comme des crimes », alors que de nombreux viols sont actuellement « correctionnalisés », c’est-à-dire requalifiés en « agression sexuelle », pour être jugés plus rapidement.

« Régression démocratique »

Le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) et une majeure partie des avocats – le Conseil national des barreaux (CNB) a voté à 98% contre l’expérimentation – vilipendent au contraire une « atteinte » aux jurys populaires et une « régression démocratique ». La justice « rendue par le peuple » est un héritage de la Révolution française « qui a du sens, pas seulement historique ou esthétique », souligne Me Christian Saint-Palais, président de l’association des avocats pénalistes, « très hostile » aux cours criminelles. Leur « seule motivation » pour Me Saint-Palais, « c’est qu’on n’arrive pas à juger dans des délais raisonnables ». « La solution qui est trouvée, c’est un pis-aller médiocre qui fait fi de la qualité qu’on attend de la justice », dénonce-t-il.

Des avocats redoutent par ailleurs une réduction du temps des débats au détriment de la qualité du procès. La réforme introduit une « gradation dans les crimes », avec des infractions considérées comme plus graves que d’autres, déplore Sophie Legrand, secrétaire nationale du SM.

Les cours d’assises continueront de juger les crimes passibles de peines plus lourdes, comme les meurtres ou les assassinats, ceux commis en état de récidive et l’ensemble des crimes en appel. L’idée de limiter les jurys populaires aux crimes les plus graves n’est pas nouvelle : deux prédécesseurs de Nicole Belloubet au ministère de la Justice, Jacques Toubon en 1996 et Michèle Alliot-Marie en 2010, l’avaient souhaité sans passer à l’acte.

« On rogne des deux bouts »

Les cours d’assises ont connu ces dernières années bien des évolutions : en 2012, le jury a été réduit, passant de neuf à six citoyens – et de douze à neuf en appel. Avant cela, une loi avait instauré en juin 2000 la possibilité de faire appel des verdicts des cours d’assises. Puis en 2011 était rendue obligatoire la motivation des décisions, auparavant rendues selon la seule « intime conviction » du jury.

Pour Me Saint-Palais, « c’est un nouveau pas vers la disparition des jurés, inéluctable ». « On a déjà supprimé les jurés pour le terrorisme, les trafics de stupéfiants en bande organisée (jugés depuis 1986 par une cour d’assises spéciale, NDLR). On rogne des deux bouts », s’insurge-t-il.

Les délais maximums d’audiencement dans les affaires où les accusés sont détenus seront réduits de deux à un an, assure de son côté la Chancellerie. Un bilan sera réalisé au bout des trois ans d’expérimentation. En cas de généralisation des cours criminelles, environ 57% des affaires actuellement jugées aux assises (sur un total de 2 000) seraient concernées.

LQ/AFP