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Tabagisme en terrasse : le calumet de la paix


Vivre en communauté, c'est savoir faire des sacrifices. Fumeurs et non-fumeurs vont devoir continuer à se côtoyer en bonne intelligence. (Photo LQ/Isabella Finzi)

Fumeurs et non-fumeurs s’affrontent depuis des mois par pétitions interposées quant au droit de fumer ou non sur les terrasses des restaurants et cafés du Luxembourg. Et la guerre n’est pas près de s’arrêter malgré l’appel au respect et à la courtoisie lancé hier par les représentants de l’Horesca, du ministère des Classes moyennes et du Tourisme et de la Chambre de commerce.

« Je fume depuis un demi-siècle », avoue Jos, attablé à l’ombre d’un parasol publicitaire sur la terrasse d’un café du centre-ville de Luxembourg. « Personne ne m’en a jamais empêché ! À l’intérieur, je veux encore bien comprendre, mais à l’extérieur… Franchement ! » Personne n’empêchera Jos de fumer en terrasse, effectivement.

Le gouvernement se refusant à prendre parti dans ce débat toxique. Il préfère jouer la carte de la modération en se reposant sur ses partenaires – l’Horesca et la Chambre de commerce – qui eux-mêmes font appel aux cafetiers et restaurateurs pour temporiser les hostilités entre les deux camps. À ces derniers de décider s’ils souhaitent instaurer des terrasses totalement non fumeurs ou les séparer en deux zones. Restera aux non-fumeurs d’espérer que le vent ne souffle pas dans leur direction.

La campagne lancée hier fait appel au respect et à la courtoisie des uns et des autres. La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres, nous dit-on et nous pouvons vérifier au quotidien le justesse de cette maxime. Dans le débat qui oppose fumeurs et non-fumeurs sur les terrasses ainsi que dans les cafés et restaurants depuis l’interdiction d’y fumer instaurée en 2014, les fumeurs se sentent persécutés. « On ne pourra bientôt plus fumer nulle part ! », s’énerve Carlo, voisin de tablée de Jos. « C’est encore une idée des yuppies qui bouffent que des légumes et circulent en voiture électrique. »

Thomas, un quinquagénaire, comprend que la fumée de cigarette et l’odeur qu’elle dégage peut déranger les non-fumeurs et reconnaît faire des efforts, voire ne pas allumer cigarette sur cigarette si un voisin de table lui fait part de sa gêne. « Je n’ai jamais fumé devant mes enfants, pour leur santé et pour qu’ils ne sentent pas le tabac froid quand ils vont à l’école », précise-t-il. « Du moment qu’on ne m’interdit pas de fumer, je suis prêt à faire un effort. »

« Les fumeurs peuvent déranger »

Quelques tables plus loin, à l’ombre d’un parasol beige, Valérie, Rafaella et Idris, des collègues. « J’évite les endroits où les gens fument beaucoup. Mes proches et moi sommes non fumeurs. Je pense que si mon voisin de table fumait trop, je lui demanderais de changer de place ou de fumer moins. Je ne regarde pas ma série préférée sans écouteurs sur mon smartphone dans un café par respect pour mes voisins de table. Comme la cigarette, c’est une question de respect », estime Valérie. « Il est prouvé que le tabagisme passif, comme le tabagisme tout court, est dangereux. On connaît tous quelqu’un qui a souffert de ses conséquences », indique Rafaella. « Libre aux fumeurs de fumer, mais ils doivent aussi penser aux personnes qui les entourent. » Idris est un ancien fumeur. « J’en avais assez de demander aux gens si ma fumée les dérangeait, alors j’ai arrêté de fumer et depuis, je pars plus souvent en vacances et mes vêtements sentent bons », lance-t-il en partant dans un fou rire.

Santé, liberté et économie s’affrontent dans un voile de fumée bleue. Les cafetiers et restaurateurs qui disaient avoir déjà dû faire face à une baisse de revenus après le 1er janvier 2014 et avant cela à l’occasion de la baisse du taux d’alcoolémie au volant, craignent perdre des clients dans les deux camps. Ils sont encore près de 2 000 cafetiers et restaurateurs au Luxembourg, soit une nombre exponentiel de clients.

« En 1985, il y avait environ 1 650 cafés et bistrots dans le pays. Maintenant, il en reste 1 085. Ils vont devoir se réinventer en fonction du type de clientèle visée », indiquait hier le secrétaire général de l’Horesca, François Koepp.

Pour le ministre des Classes moyennes et du Tourisme, Lex Delles, « il faut que les fumeurs comprennent qu’ils peuvent déranger. Ils devront faire preuve de raison s’ils veulent éviter une législation contraignante ».

François Koepp a temporisé : « Aussi bien l’interdiction de fumer que l’augmentation de la TVA ont durement frappé notre secteur. De plus, les clients d’aujourd’hui ont de nouvelles exigences qui ne ressemblent plus à celles d’antan. La campagne « Respectez-vous » est une preuve de la créativité du secteur de l’Horeca. Notre but était et restera toujours de rassembler les gens pour qu’ils puissent passer un moment agréable en bonne compagnie. Vivre ensemble et le respect mutuel devrait être la devise de chacun. »

Reste à voir si fumeurs et non-fumeurs sont prêts à mettre de l’eau dans leur vin pour pouvoir continuer à trinquer ensemble.

Sophie Kieffer