Près de quatre ans après sa conclusion, l’accord sur le nucléaire iranien apparaît aujourd’hui sérieusement menacé. Etat des lieux de ce dossier qui contribue largement aux vives tensions dans le Golfe.
Le « Plan d’action global conjoint », connu aussi sous l’acronyme anglais JCPOA, a été conclu le 14 juillet 2015 à Vienne entre l’Iran d’un côté, et les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Russie) et l’Allemagne de l’autre, après 12 années de crise autour du programme nucléaire iranien. Par ce texte, l’Iran s’engage à ne pas chercher à acquérir la bombe atomique et accepte de limiter drastiquement son programme nucléaire en échange de la levée de sanctions internationales.
L’Iran, qui a toujours démenti chercher à fabriquer l’arme atomique, se soumet aussi à un système rigoureux d’inspection de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Mais la décision unilatérale des Etats-Unis de Donald Trump de sortir du pacte le 8 mai 2018 et de rétablir des sanctions a plongé l’économie iranienne dans une grave récession et privé le pays des retombées qu’il attendait de l’accord.
Téhéran a d’abord fait preuve d’une « patience stratégique », selon l’expression officielle, en clamant son attachement à l’accord mais en exigeant des autres parties qu’elles tiennent leurs engagements en lui permettent de bénéficier de ce pacte malgré le départ Washington.
« 60 jours » pour contourner les sanctions américaines
Le 8 mai 2019, un an jour pour jour après le retrait américain et lassé de ne voir aucune promesse européenne se concrétiser, l’Iran a annoncé qu’il ne se sentait plus tenu par deux de ses engagements et a donné aux autres parties « 60 jours » pour l’aider à contourner les sanctions américaines, faute de quoi il pourrait renoncer à deux engagements supplémentaires.
Téhéran ne se sent plus tenu par deux seuils fixés par l’accord : celui imposé à ses réserves d’eau lourde (130 tonnes) et celui limitant son stock d’uranium faiblement enrichi (300 kilos). Pour autant, l’Iran n’a pas encore franchi ces limites, même s’il flirte avec celle relative à l’uranium avec un stock évalué vendredi à 297,2 kilos, selon un officiel iranien.
Téhéran menace de reprendre, à partir du 7 juillet, des activités d’enrichissement d’uranium à un taux supérieur au degré maximal fixé par l’accord (3,67%). L’Iran a aussi averti qu’il pourrait reprendre à partir de cette date son projet de construction d’un réacteur à eau lourde -susceptible de produire un jour du plutonium- à Arak (centre), mis en sommeil en vertu de l’accord. « Il s’agit surtout d’un appel au secours de l’Iran à ses partenaires pour le sortir des difficultés croissantes dans lesquelles les sanctions américaines placent son économie », dit à l’AFP François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France à Téhéran.
« Préserver l’acquis principal »
L’Iran « cherche avant tout à préserver l’acquis principal » qu’est l’accord de Vienne lui-même, estime Clément Therme, chercheur sur l’Iran à l’Institut international des études stratégiques (IISS). Selon lui, « le problème principal pour l’Iran c’est d’éviter l’effondrement économique du pays sans provoquer une guerre ». « Tant que l’Iran ne se rapproche pas d’un stock d’une tonne d’uranium légèrement enrichi, il n’y a pas de souci pressant », affirme François Nicoullaud.
Mais si l’Iran « constituait par exemple, un stock de 200 ou 300 kilos d’uranium enrichi à près de 20%, il y aurait motif à grave inquiétude », encore que cela ne voudrait « pas dire que l’Iran pourrait détenir une bombe en quelques mois ». « En ce qui concerne l’eau lourde, l’augmentation de ce stock ne présente aucun danger de prolifération, du moins (pas avant de nombreuses années », relève-t-il encore.
Et comme « l’Iran n’a jamais agité la menace de chasser les inspecteurs de l’AIEA », note ce diplomate à la retraite, « les évolutions du programme iranien vont pouvoir continuer à être observées. » Pour Clément Therme, une relance du programme nucléaire iranien serait « surtout dangereuse pour la population iranienne car elle conduirait à un isolement complet du pays et à un appauvrissement encore plus grand ».
« Si les partenaires de l’Iran n’ont pas trouvé d’ici au 7 juillet un moyen de desserrer, au moins un peu, les sanctions américaines (…), il est probable que l’Iran mettra ses déclarations à exécution », prévoit François Nicoullaud. Mais, pour Clément Therme, « l’intérêt des parties au JCPOA est d’éviter une guerre tout en donnant une respiration économique à l’Iran », et « la perception d’un risque imminent d’une guerre américaine contre l’Iran peut conduire les Européens, les Chinois et les Russes à donner des gages à la République islamique ». « Ce qui est positif, juge-t-il, c’est que de nombreux pays de la région comme les Emirats arabes unis, le Qatar ou Oman soutiennent (la) désescalade qui peut être conduite par Bruxelles, Pékin et Moscou au nom de leurs intérêts économiques et sécuritaires communs avec les pays arabes » du Golfe.
LQ/AFP