La légalisation du cannabis, un moyen de « reprendre le contrôle » face à l’ « échec » de la répression ? C’est la thèse défendue par des économistes chargés de conseiller le Premier ministre, dans un rapport publié jeudi qui étrille 50 ans de politiques gouvernementales.
Cette note du Conseil d’analyse économique (CAE), un groupement d’économistes rattaché à Matignon, appelle à créer un « monopole public de production et de distribution du cannabis », avec producteurs agréés et boutiques spécialisées. Une légalisation qui permettrait « à la fois de lutter contre le crime organisé, de restreindre l’accès aux produits pour les plus jeunes et de développer un secteur économique », selon le document.
Purement consultative, l’analyse tranche avec la ligne répressive de l’exécutif mais témoigne de débats nouveaux dans les allées du pouvoir. Alors qu’Emmanuel Macron a écarté la dépénalisation et instauré une amende de 200 euros pour les petits consommateurs, ce cercle d’économistes recommande à la France une légalisation totale comme au Canada, dans certains États américains ou en Uruguay.
Les Français champions d’Europe
Une « légalisation contrôlée » également défendue dans une récente proposition de loi transpartisane, notamment soutenue par cinq députés « marcheurs ». « Le système de prohibition promu par la France depuis 50 ans est un échec », estiment les auteurs de la note, Emmanuelle Auriol et Pierre-Yves Geoffard.
Malgré une législation parmi les plus répressives du Vieux continent, la France est championne d’Europe de la consommation de cannabis. « Toutes les familles françaises y sont exposées », a déclaré Emmanuelle Auriol, en conférence de presse, assurant par ailleurs que la prohibition favorisait « le crime organisé » sans avoir de vertu éducative.
Selon le rapport, l’État dépense sur un an « 568 millions d’euros » pour lutter contre le cannabis, dont 70% consacrés aux actions des forces de l’ordre et 20% aux services judiciaires et pénitentiaires. Seuls 10% financent la prévention, les soins et la recherche.
Selon la littérature scientifique, une « consommation modérée » de cannabis n’a « pas d’effets nocifs sérieux avérés » sur la santé des adultes, rappelle la note. Cette drogue augmente en revanche le risque de schizophrénie « des plus jeunes ». Le CAE recommande donc une interdiction de vente aux mineurs. Pour cela, les économistes souhaitent une « gestion étatique centralisée ».
Neuf euros le gramme
Concrètement, l’État délivrerait des licences à des « producteurs et distributeurs agréés », comme pour le tabac. Mais contrairement à la cigarette, le cannabis serait vendu dans des boutiques spécialisées, interdites aux mineurs et plus faciles à surveiller. Ce système serait chapeauté par une « autorité administrative indépendante » chargée de réguler le marché et d’assécher le marché noir en assurant une production suffisante, de bonne qualité, à un prix suffisamment bas. La note recommande un prix final de neuf euros pour un gramme d’herbe, contre environ 11 euros actuellement dans la rue.
Le CAE a aussi estimé les retombées économiques d’une telle légalisation. Sur l’hypothèse d’une consommation annuelle de cannabis de 500 à 700 tonnes par an, une légalisation pourrait créer entre 27 500 et 80 000 emplois et générer des recettes fiscales de 2 à 2,8 milliards d’euros.
Une manne qui pourrait être réinvestie dans la prévention, les quartiers populaires et la lutte contre le trafic. « Bien qu’on les oppose généralement, légalisation et répression sont des politiques publiques complémentaires », remarque le document.
Ce rapport a toutefois laissé Matignon de marbre, alors qu’Édouard Philippe vient de faire de la lutte antistupéfiants une « priorité ». « Le gouvernement reste clairement opposé à la légalisation », a répondu son cabinet.
LQ/AFP