Deux chercheurs afirment que la croissance verte n’est pas la solution pour lutter contre le changement climatique et la crise écologique. Face à l’urgence, ils préconisent un modèle économique fondé sur la décroissance.
La conférence Rio+20, organisée en 2012, a consacré l’idée de la croissance verte comme solution à un développement durable capable d’enrayer le réchauffement climatique et la crise écologique. L’ONU, la Banque mondiale et l’OCDE sont les principaux promoteurs de cette théorie selon laquelle il est possible de dissocier totalement une croissance continue et élevée du PIB de l’utilisation des ressources et des émissions de carbone.
Elle se fonde en particulier sur l’idée que le progrès technologique va améliorer l’efficacité écologique de l’économie, pour peu qu’il soit accompagné de mesures règlementaires et incitatives de la part des gouvernements.
La croissance verte est au cœur des stratégies économiques de l’Union européenne pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris de 2015, qui veut limiter le réchauffement climatique dans une fourchette comprise entre 1,5 et 2°C.
Dès 2010, le Luxembourg s’est associé à la Déclaration sur la croissance verte de l’OCDE et elle constitue le pilier de la stratégie Rifkin adoptée plus récemment par la coalition gouvernementale. La finance verte, dont le Grand-Duché veut être le leader mondial, s’inscrit également dans cette théorie qui sera aussi au centre du Cleantech Forum Europe dont Luxembourg sera l’hôte en 2020.
«Réponse politique dominante»
«La notion de croissance verte est devenue une réponse politique dominante au changement climatique et à la crise écologique», écrivent Jason Hickel et Giorgos Kallis dans Is Green Growth Possible ?, un article paru en avril dans la revue New Political Economy. Le premier est anthropologue à l’université Goldsmiths de Londres tandis que le second est chercheur en économie environnementale à l’université autonome de Barcelone.
Leur travail très documenté remet sérieusement en cause l’affirmation d’une croissance verte comme réponse efficace à la crise environnementale majeure menaçant la survie de l’humanité.
Selon eux, aucun modèle empirique n’en fait aujourd’hui la démonstration. En théorie, la croissance verte, accompagnée d’une «régulation particulièrement agressive», pourrait constituer une réponse dans les pays les plus riches, mais ils la jugent irréaliste en raison de l’urgence nécessitant une conversion immédiate et fondamentale de nos modèles économiques.
Or, cela n’en prend pas la direction comme l’illustrent les deux auteurs à travers de multiples données chiffrées, relevant par exemple que la consommation globale de biens a augmenté de 93% dans le monde entre 1980 et 2009, soit un quasi-doublement. De la même façon, les émissions de CO2 d’origine fossile connaissent une hausse exponentielle puisqu’elles ont quadruplé en 60 ans, passant de quelque 10 milliards à 40 milliards de tonnes.
Vers un modèle décroissant
«Ces tendances sont incompatibles avec les objectifs de l’accord de Paris» sur le changement climatique, relèvent-ils avant d’avertir qu’au rythme actuel, le réchauffement atteindra 4,2°C en 2100 et 3,5°C si l’on s’en tient aux seuls engagements formulés dans le cadre de l’accord de Paris. Des niveaux hypothéquant fortement la survie de l’espèce humaine.
Pour contenir le réchauffement à 2°C à l’horizon de la fin du siècle, la croissance du PIB devra être inférieure à 1% et même de 0% pour le limiter à 1,5°C, déduisent les chercheurs à partir des modèles présentés dans l’étude. Ils estiment illusoire un découplage total entre la croissance du PIB et l’utilisation des ressources et des émissions de carbone. Autrement dit, pour Jason Hickel et Giorgos Kallis, cela passera par un changement de paradigme fondé sur la décroissance.
Ils reconnaissent l’importance des évolutions technologiques mais présentent aussi des pistes se singularisant par leur dimension sociale. Ils préconisent ainsi l’adoption de limites législatives, la mise en place de taxes vertes, une évolution des investissements publics, des réductions du temps de travail et la création de nouvelles institutions de sécurité sociale, incluant la mise en place d’un revenu de base.
Dans un billet de blog, le biologiste français Julien Fosse rappelle les limites de ce type d’exercice basé sur des projections, mais reconnaît que cette étude pose «clairement la question des efforts à mettre en œuvre pour espérer préserver notre planète».
«Jouir une dernière fois ?»
Le travail de Jason Hickel et Giorgos Kallis n’a guère trouvé, à ce jour, d’écho au-delà des cercles spécialisés. Les auteurs interpellent les décideurs politiques sur leur motivation à promouvoir une croissance verte ayant pour seul objectif de préserver un modèle économique mortifère pour l’humanité : «Il est probable que l’insistance mise sur la croissance verte est motivée par des considérations politiques. Il n’est politiquement pas acceptable de remettre en question la croissance économique et aucun pays ne limitera volontairement sa croissance au nom du climat ou de l’environnement.»
«En tant que scientifiques, nous ne devrions pas laisser l’opportunisme politique façonner notre vision des faits», écrivent-ils, avant de conclure : «Nous devons tirer des conclusions par l’évaluation des faits et non commencer par poser des conclusions accommodantes en ignorant les faits.»
Résolument engagé en faveur du climat et de l’écologie, l’astrophysicien et philosophe français Aurélien Barrau commente l’étude dans un tweet du 8 juin par une interrogation sans concession : «La croissance verte n’existe pas. Et tous ceux qui ont étudié la question le savent. On arrête de se mentir ou on continue de faire semblant pour jouir une dernière fois, au mépris de tout avenir vivable ?».
Fabien Grasser