La société civile se mobilise ce mardi en marge de l’assemblée générale des actionnaires de la multinationale luxembourgeoise Socfin qu’elle accuse, entre autres, de violer les droits humains et sociaux.
Une nouvelle fois, la société civile sera au rendez-vous de l’assemblée générale des actionnaires de Socfin, qui se tient ce mardi à Luxembourg. Cette holding, détenue majoritairement par l’homme d’affaires belge Hubert Fabri (50,2%) et le groupe français Bolloré (38,7%), est depuis des années accusée par des associations et syndicats de «s’accaparer les terres» des riverains de ses plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans les 14 pays africains et asiatiques où elle opère. Les mauvaises conditions sociales imposées aux travailleurs ou des atteintes à l’environnement sont d’autres reproches formulés par les ONG.
La multinationale s’est par le passé engagée devant les autorités françaises, belges et luxembourgeoises à améliorer cette situation, notamment au Cameroun où elle a souscrit à un plan négocié sous l’égide du Point de contact national (PCN) français de l’OCDE (lire ci-dessous). Mais le compte n’y est pas, selon les ONG qui rappelleront ce mardi aux actionnaires les mauvaises pratiques et manquements de Socfin qui nie systématiquement les problèmes.
Ce rassemblement international réunira des ONG du Luxembourg, de Suisse et de Belgique devant l’hôtel où se réunissent les actionnaires de Socfin et de ses innombrables filiales. Au même moment, des ONG suisses se rendront devant les nouveaux bureaux de Socfin à Fribourg, d’où la multinationale dirige ses activités. Sur le papier, son siège se trouve au Luxembourg, mais dans les faits, il n’y emploie qu’une dizaine de personnes sur 49000 employés revendiqués dans le monde.
Le gouvernement préoccupé
Ces manifestations ont pour but d’attirer l’attention de l’opinion sur les pratiques du groupe, mais aussi d’exiger plus de célérité des pouvoirs publics. «L’engagement volontaire des multinationales ne mène nulle part. Les États doivent adopter des lois pour réguler ces entreprises basées en Europe», affirme Marine Lefebvre pour le collectif d’ONG.
Au Luxembourg, 15 associations et le syndicat OGBL ont fondé en 2018 une Initiative pour le devoir de vigilance afin de demander des procédures de contrôle des multinationales dans les domaines des droits humains, sociaux et environnementaux. Ils revendiquent aussi des sanctions à l’encontre des entreprises ne respectant pas leurs obligations.
Au Luxembourg, le ministère des Affaires étrangères a été contraint d’intervenir auprès de Socfin ces derniers mois à la suite des tensions croissantes autour des plantations de SAC, la filiale de Socfin en Sierra Leone. Fin janvier, deux jeunes hommes ont été tués par les forces de l’ordre qui ont brutalement réprimé un différend entre un député qui défend les intérêts des petits paysans et le chef coutumier qui avait convaincu les mêmes de louer leurs terres à SAC pour quelques dollars par an. L’armée disposait notamment d’un véhicule de SAC pour mener des raids contre des villageois dont des milliers avaient fui pour échapper aux violences et au racket.
Informé des risques de heurts dès le mois d’octobre, «l’ambassadeur itinérant du Luxembourg pour les droits de l’homme a pris contact avec des représentants de Socfin et a rencontré le nouvel ambassadeur de la Sierra Leone auprès du Luxembourg, pour faire le point sur la situation et partager les vives préoccupations concernant les derniers développements», répond par mail le ministère des Affaires étrangères aux questions du Quotidien. «La partie sierra-léonaise a informé de la mise en place inédite d’une commission nationale dédiée à l’aménagement du territoire et a fait part de la volonté du gouvernement de renouer les discussions avec les parties prenantes, y compris la société civile, pour régler et prévenir les conflits fonciers dans le pays», poursuit le ministère, qui affirme vouloir agir «dans un esprit de dialogue avec toutes les parties» et «suivre de près l’évolution sur le terrain».
Fabien Grasser
Bolloré assigné en justice
Dix ONG et syndicats assignent en justice en France l’entreprise Bolloré pour obtenir l’application d’un plan améliorant les conditions de vie des travailleurs et riverains de plantations d’huile de palme au Cameroun gérées par Socapalm, dont le groupe est actionnaire par le truchement de Socfin. Ces ONG et syndicats français, camerounais, belge et suisse saisissent la justice pour demander la mise en œuvre d’un «plan d’action» conclu en 2013. En 2010, des ONG avaient saisi un organe de l’OCDE, appelé Point de contact national (PCN), qui avait constaté des «manquements» à ses principes directeurs à destination des multinationales. Le PCN luxembourgeois avait également été saisi de l’affaire. En 2013, l’ONG Sherpa et Bolloré avaient engagé une médiation qui avait abouti à un «plan d’action» pour la Socapalm, abandonné depuis, selon les ONG, qui espèrent des «décisions» lors de l’assemblée générale de la Socfin, aujourd’hui, à Luxembourg. Le plan visait notamment à garantir à tous les travailleurs «la sécurité au travail» et à améliorer les «conditions de transport et de logement» afin d’être «décent». Il prônait le «règlement amiable des conflits» avec les riverains après des violences de la part d’agents en charge de la sécurité des plantations ainsi que l’apaisement des conflits fonciers avec, notamment, un «système d’indemnisation individuel, juste et équitable».