Le gouvernement avait convié, mercredi, la presse au foyer des réfugiés de Weilerbach. Pour pouvoir continuer à accueillir de nouveaux réfugiés, le Luxembourg devra investir à la fois dans de nouvelles structures et dans le personnel adapté.
Niché en haut d’une colline, au milieu de la forêt surplombant la Sûre, c’est par un chemin en serpentins qu’on accède au foyer Héliar, vieille bâtisse digne d’un roman de Fitzgerald. Sauf que pour y accéder, il faut d’abord passer sous la barrière levée d’un point de contrôle : ancien centre de convalescence transformé en foyer, l’immeuble héberge actuellement 149 personnes, 33 familles et 90 enfants, dont les 46 réfugiés que le Luxembourg vient d’accueillir.
Parmi ceux-ci, Aymen, originaire d’Alep, une des villes les plus vieilles au monde, située au nord de la Syrie et qui, ces jours-ci, risque de tomber aux mains de l’État islamique (EI). Avant qu’Aymen ne décide de prendre la fuite, un groupe d’hommes armés et cagoulés l’avait kidnappé, torturé, puis relâché contre paiement. Le jour où, après avoir vendu toutes ses possessions, il s’apprêtait à franchir la frontière turco-syrienne accompagné de son épouse et de ses enfants, il a failli se faire égorger parce que sa femme portait un pantalon.
Aymen, arrivé le «5 du 5»
Aymen se souvient : il a débarqué au Luxembourg le «5 du 5» , il y a un peu plus d’un mois. Il faisait encore frais. Entretemps, il a visité Echternach, Diekirch, Luxembourg et Mersch, mais alors ses rencontres avec les Luxembourgeois se limitent encore à leur demander le chemin ou à poser une question à un vendeur.
Ce qui le frappe le plus ici, c’est la liberté : «Chez nous, c’est la répression. Alors qu’ici, on est contents de pouvoir s’exprimer, de réfléchir. Aussi, le rapport à l’administration est vraiment bon. Il y a une réelle humilité.» Aymen raconte comment, avec sa famille, il a rencontré le Premier ministre. « On l’a salué, on a pris des photos dans la rue. On se sent vraiment les bienvenus. On est jaloux de vous. Avant de venir, on se posait des questions : est-ce qu’on va pouvoir s’acclimater, s’intégrer? Hamdoulilah, (NDLR : grâce à Dieu), nos enfants sont scolarisés et se sont habitués malgré les différences. La situation n’est plus étrangère pour nous.»
Aymen est père de trois enfants. En Syrie, il était employé de la compagnie d’électricité. «On garde le contact à travers Facebook. La situation là-bas est très, très dure. À chaque fois, on a de mauvaises nouvelles. Ça casse un peu notre journée. Nous ici, on est heureux, mais les nôtres, ils sont malheureux, là-bas.»
Quand il a le cafard, Aymen aime sortir pour marcher. Il préfère ne pas sombrer dans ses idées noires. Il aime se sentir productif, comme il dit. «J’ai l’impression de renaître à 47 ans. Je suis très optimiste et mes enfants aussi, surtout eux. Ils ont une énergie énorme. Je me prépare psychologiquement, je me dis que ceci est mon pays, que vous êtes mon frère et mon ami. Mon avenir est ici.»
Hani Nasser, notre interprète égyptien, vit au Luxembourg depuis de longues années. Diplômé d’architecture orientale, il est médiateur culturel auprès de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration (OLAI). Il décrit son travail comme du «décodage interculturel» . Son rôle consiste, entre autres, à familiariser les réfugiés avec leur pays d’accueil et sa culture. Il ne cache pas que, ce faisant, il représente aussi un «modèle pour eux» en termes d’espoir.
Un système d’accueil qui atteint ses limites
Malheureusement, l’OLAI manque cruellement de personnel arabophone, ce qui fait que la plupart du temps, ce sont les enfants qui jouent les interprètes. «Les enfants apprennent notre langue en l’espace de six mois. Les adultes, c’est déjà plus compliqué», explique Yves Piron, directeur de l’OLAI. Sans parler de l’encadrement psychologique de réfugiés souffrant de traumatismes de guerre, ce qui est totalement nouveau pour le Luxembourg. À cela s’ajoute que Weilerbach fermera pour rénovation fin 2016. «Nous avons besoin de plus de lits et de plus d’encadrement», estimait hier Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration dans la salle de jeu pour enfants à Weilerbach.
Le foyer Don Bosco à Limpertsberg, fermé pour rénovation, ouvrira courant juin, mais avec une capacité d’accueil réduite. Quant aux autres structures d’hébergement potentielles, la ministre n’a pas voulu donner plus de détails. Claude Meisch, ministre de l’Éducation nationale, et Jean Asselborn, ministre de l’Immigration et de l’Asile, également présents, ont insisté sur le besoin de recruter «des interprètes qui soient aussi des constructeurs de ponts» et sur la nécessité de la coopération internationale.
À moins d’un mois de la présidence luxembourgeoise du Conseil de l’Union européenne, il s’agit pour le gouvernement d’envoyer un signal quant à la répartition prévue des réfugiés au niveau européen (515 dans le cas du Luxembourg). Cette dernière ne pourra fonctionner qu’à condition de recevoir des moyens supplémentaires. Voilà pourquoi le thème des réfugiés sera une des priorités de cette présidence.
Frédéric Braun