EDF rachète quatre hectares de terres agricoles autour de la centrale nucléaire de Cattenom et prévoit d’autres achats dans l’avenir. Dans quel but? La réalisation de projets «faiblement carbonés», répond l’électricien sans plus de précision. Une formulation qui peut tout aussi bien désigner un parc éolien qu’un réacteur EPR.
Le mystère est total quant aux intentions d’EDF à Cattenom. Seule certitude, l’électricien rachète des terrains agricoles entourant la centrale nucléaire dans le but d’y développer de nouvelles activités dont la teneur sera décidée par le gouvernement.
C’est en substance ce qui ressort d’un courrier adressé le 7 mai par le directeur du CNPE (Centre nucléaire de production d’électricité) de Cattenom, Thierry Rosso, à l’association Sortir du nucléaire 57 qui l’avait interpellé sur l’extension foncière de la centrale. L’achat de terrains s’effectue dans «le cadre d’un remembrement» et «consiste à racheter des parcelles isolées au milieu d’une propriété appartenant» à EDF, indique Thierry Rosso, précisant que ces rachats «s’inscrivent dans la continuité d’une démarche engagée en 2013».
Il s’agit là d’une première étape, car «dans un second temps, EDF souhaite compléter sa réserve foncière», affirme encore le directeur du CNPE dans ce courrier que Le Quotidien a pu consulter. La centrale s’étend actuellement sur 415 hectares, à moins de dix kilomètres du Luxembourg qui, à l’instar des Länder allemands de Sarre et Rhénanie-Palatinat, exige sa fermeture.
«Accaparement» des terres
Les rachats de parcelles sont réalisés avec l’appui de la Safer, un organisme public créé en 1960 pour «améliorer les structures foncières du secteur agricole», selon ses statuts. Ces derniers mois, des responsables d’EDF démarchent des agriculteurs, propriétaires de parcelles autour de la centrale de Cattenom, afin de les inciter à vendre. Des démarchages et achats identiques ont lieu autour de la plupart des centrales nucléaires françaises. Les associations et collectifs d’opposants dénoncent un «accaparement» de terres par EDF, estimant que les propriétaires sont mis sous pression pour céder leurs champs.
Dans quel but ces achats systématiques sont-ils effectués? EDF ne se prononce pas et comme à Cattenom, l’électricien laisse ouverte toutes les hypothèses. Il s’agit en tout cas «d’anticiper la réalisation éventuelle de nouveaux projets sur ses sites de production et, ainsi, se donner les moyens de pérenniser l’implantation locale du Groupe EDF autour de projets faiblement carbonés», reconnaît Thierry Rosso dans sa correspondance avec Sortir du nucléaire 57.
Allonger la durée de vie des réacteurs
À Cattenom, EDF n’a jamais vraiment caché son intention de poursuivre des activités au-delà de la durée de vie des quatre réacteurs, dont le premier avait été mis en service en 1986. Alors qu’ils devaient initialement être arrêtés au bout de 30 ans, ce délai a été porté à 40 ans. Des ingénieurs du secteur plaident désormais pour un allongement à 50 ou même 60 ans de la durée de vie des réacteurs, une solution qui nécessiterait toutefois de coûteux travaux de mise aux normes. À Cattenom, des terres avaient été «provisionnées» dès l’implantation d’EDF, l’hypothèse la plus souvent évoquée alors étant la construction d’une cinquième tranche, idée qui semble aujourd’hui abandonnée.
En tout état de cause, «cela ne présume en rien des choix qui seront faits», insiste le directeur du CNPE, affirmant qu’ «aucun projet industriel n’a encore été arrêté». «Les ambitions industrielles d’EDF s’inscriront dans le cadre législatif et réglementaire défini par l’État, notamment après la publication définitive de la Programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2023 2024-2028», poursuit Thierry Rosso.
Autrement dit : c’est le politique qui décidera. Le projet de loi fixant la politique énergétique de la France à l’horizon des dix ans à venir doit être débattu au Parlement fin juin.
Mais il a déjà été largement dévoilé ces derniers mois par le gouvernement et le président de la République. Lors du conseil des ministres du 30 avril, le ministre de la Transition écologique, François de Rugy, a officiellement confirmé que l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique française, contre 75 % actuellement, ne sera réalisé qu’en 2035 et non en 2025 comme le prévoyait la loi. Il justifie ce retard par l’ambition de Paris de parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Nucléaire : Macron dit «stop et encore»
Dès le 27 novembre dernier, Emmanuel Macron avait annoncé la fermeture d’ici 2035 de 14 réacteurs sur les 58 actuellement en service dans l’Hexagone. Il n’avait pas indiqué quelles centrales seraient concernées, si ce n’est celle de Fessenheim, la plus ancienne, dont les deux réacteurs devraient être arrêtés en 2020. Cattenom ne figurait pas parmi les sites évoqués pour une fermeture rapide, les experts citant plutôt Bugey, Gravelines, Dampierre ou le Tricastin.
Adepte du «en même temps», dont il fait un mode gouvernement, le président avait néanmoins cultivé l’ambiguïté sur le mode du «stop et encore». «Réduire le nucléaire, ce n’est pas renoncer au nucléaire. Le nucléaire reste une piste prometteuse pour avoir une énergie fiable et à bas coût», avait-il déclaré le 27 novembre.
Quoi qu’il en soit, parmi les activités «faiblement carbonées», EDF recense aussi bien le photovoltaïque que l’éolien et surtout le nucléaire, l’énergie «la plus propre du mix» en termes d’émission de CO2, avance le groupe sur son site internet. La construction d’un EPR est-elle dès lors envisageable à Cattenom comme le veut une rumeur tenace et fortement alimentée ces derniers mois par le flou entretenu par EDF autour de ses intentions?
Moselle : pas assez d’eau pour un EPR
Quand c’est flou, il n’y a pas forcément un loup, espère un militant antinucléaire pour qui la construction d’un EPR est peu probable à Cattenom «en raison de l’étiage de la Moselle», alors que ces réacteurs de nouvelle génération nécessitent beaucoup d’eau pour leur refroidissement. Qui plus est, cette technologie connaît de multiples déboires dans la conception de la cuve, comme le montre le retard pris dans le démarrage de l’EPR de Flamanville, sans cesse repoussé.
Des élus de la région du Bugey, dans l’Ain, se sont pour leur part dits favorables à l’accueil d’un EPR pour remplacer les quatre réacteurs de la centrale en fonctionnement depuis 1979 et donc en fin de vie théorique. Pourtant, l’été dernier, EDF avait été contraint de mettre deux réacteurs de Bugey à l’arrêt en raison du manque d’eau et pour protéger la biodiversité du Rhône, le rejet des eaux de refroidissement à une température trop élevée menaçant le milieu aquatique. Des réacteurs avaient été arrêtés pour la même raison à Fessenheim et Saint-Alban.
Centrale photovoltaïque à Cattenom?
Pour Cattenom, une hypothèse avancée aujourd’hui par diverses sources est l’installation d’une centrale photovoltaïque, alors que le gouvernement veut multiplier par cinq la production de cette énergie dans les années à venir. Si telle est la direction prise, l’exploitation du photovoltaïque pourrait être confiée à une filiale d’EDF. Le groupe, déjà endetté à hauteur de 33 milliards d’euros, a en effet annoncé son intention de séparer ses activités rentables, comme les énergies renouvelables, de celles qui sont ou seront à l’avenir déficitaires comme le nucléaire, dont le coût du démantèlement des centrales et du stockage à long terme des déchets a été largement sous-estimés dans le prix du KWh vendu aux Français. Les quelque 36 milliards d’euros provisionnés par EDF à cet effet
«Et puis», raille un membre de Sortir du nucléaire, «faire cohabiter le solaire avec le nucléaire permettra à EDF de verdir son image». En somme, une autre déclinaison du «en même temps» d’Emmanuel Macron.
Fabien Grasser
L’énergie nucléaire est l’énergie dufutur, contrairement aux moulins à vent et aux panneaux photovoltaïques « made in China » dans des zones faiblement ensoleillées.